Petites Misères de la vie conjugale/1/13


NOSOGRAPHIE DE LA VILLA.


Est-ce un agrément de ne pas savoir ce qui plaît à sa femme quand on est marié ?… Certaines femmes (cela se rencontre encore en province) sont assez naïves pour dire assez promptement ce qu’elles veulent ou ce qui leur plaît. Mais à Paris, presque toutes les femmes éprouvent une certaine jouissance à voir un homme aux écoutes de leur cœur, de leurs caprices, de leurs désirs, trois expressions d’une même chose ! et tournant, virant, allant, se démenant, se désespérant, comme un chien qui cherche un maître.

Elles nomment cela être aimées, les malheureuses !… Et bon nombre se disent en elles-mêmes, comme Caroline : ─ Comment s’en tirera-t-il ?

Adolphe en est là. Dans ces circonstances, le digne et excellent Deschars, ce modèle du mari bourgeois, invite le ménage Adolphe et Caroline à inaugurer une charmante maison de campagne. C’est une occasion que les Deschars ont saisie par son feuillage, une folie d’homme de lettres, une délicieuse villa où l’artiste a enfoui cent mille francs, et vendue à la criée onze mille francs. Caroline a quelque jolie toilette à essayer, un chapeau à plumes en saule pleureur : c’est ravissant à montrer en tilbury. On laisse le petit Charles à sa grand’mère. On donne congé aux domestiques. On part avec le sourire d’un ciel bleu, lacté de nuages, uniquement pour en rehausser l’effet. On respire le bon air, on le fend par le trot du gros cheval normand sur qui le printemps agit. Enfin l’on arrive à Marnes, au-dessus de Ville-d’Avray, où les Deschars se pavanent dans une villa copiée sur une villa de Florence et entourée de prairies suisses, sans tous les inconvénients des Alpes.

— Mon Dieu ! quelles délices qu’une semblable maison de campagne ! s’écrie Caroline en se promenant dans les bois admirables qui bordent Marnes et Ville-d’Avray. On est heureux par les yeux comme si l’on y avait un cœur !

Caroline, ne pouvant prendre qu’Adolphe, prend alors Adolphe, qui redevient son Adolphe. Et de courir comme une biche, et de redevenir la jolie, naïve, petite, adorable pensionnaire qu’elle était !… Ses nattes tombent ! elle ôte son chapeau, le tient par ses brides. La voilà rejeune, blanche et rose. Ses yeux sourient, sa bouche est une grenade douée de sensibilité, d’une sensibilité qui paraît neuve.

— Ça te plairait donc bien, ma chérie, une campagne !… dit Adolphe en tenant Caroline par la taille, et la sentant qui s’appuie comme pour en montrer la flexibilité.

— Oh ! tu serais assez gentil pour m’en acheter une ?… Mais, pas de folies !… Saisis une occasion comme celle des Deschars.

— Te plaire, savoir bien ce qui peut te faire plaisir, voilà l’étude de ton Adolphe.

Ils sont seuls, ils peuvent se dire leurs petits mots d’amitié, défiler le chapelet de leurs mignardises secrètes.

— On veut donc plaire à sa petite fille ?… dit Caroline en mettant sa tête sur l’épaule d’Adolphe, qui la baise au front en pensant : ─ Dieu merci, je la tiens !


axiome.

Quand un mari et une femme se tiennent, le diable seul sait celui qui tient l’autre.

Le jeune ménage est charmant, et la grosse dame Deschars se permet une remarque assez décolletée pour elle, si sévère, si prude, si dévote.

— La campagne a la propriété de rendre les maris très-aimables.

M. Deschars indique une occasion à saisir. On veut vendre une maison à Ville-d’Avray, toujours pour rien. Or, la maison de campagne est une maladie particulière à l’habitant de Paris. Cette maladie a sa durée et sa guérison. Adolphe est un mari, ce n’est pas un médecin. Il achète la campagne et s’y installe avec Caroline redevenue sa Caroline, sa Carola, sa biche blanche, son gros trésor, sa petite fille, etc.

Voici quels symptômes alarmants se déclarent avec une effrayante rapidité : On paye une tasse de lait vingt-cinq centimes quand il est baptisé, cinquante centimes quand il est anhydre, disent les chimistes. La viande est moins chère à Paris qu’à Sèvres, expérience faite des qualités. Les fruits sont hors de prix. Une belle poire coûte plus prise à la campagne que dans le jardin (anhydre !) qui fleurit à l’étalage de Chevet.

Avant de pouvoir récolter des fruits chez soi, où il n’y a qu’une prairie suisse de deux centiares, environnée de quelques arbres verts qui ont l’air d’être empruntés à une décoration de vaudeville, les autorités les plus rurales consultées déclarent qu’il faudra dépenser beaucoup d’argent, et ─ attendre cinq années !… Les légumes s’élancent de chez les maraîchers pour rebondir à la Halle. Madame Deschars, qui jouit d’un jardinier-concierge, avoue que les légumes venus dans son terrain, sous ses bâches, à force de terreau, lui coûtent deux fois plus cher que ceux achetés à Paris chez une fruitière qui a boutique, qui paie patente, et dont l’époux est électeur. Malgré les efforts et les promesses du jardinier-concierge, les primeurs ont toujours à Paris une avance d’un mois sur celles de la campagne.

De huit heures du soir à onze heures, les époux ne savent que faire, vu l’insipidité des voisins, leur petitesse et les questions d’amour-propre soulevées à propos de rien.

Monsieur Deschars remarque, avec la profonde science de calcul qui distingue un ancien notaire, que le prix de ses voyages à Paris cumulé avec les intérêts du prix de la campagne, avec les impositions, les répartitions, les gages du concierge et de sa femme, etc., équivalent à un loyer de mille écus ! Il ne sait pas comment lui, ancien notaire, s’est laissé prendre à cela !… Car il a maintes fois fait des baux de châteaux avec parcs et dépendances pour mille écus de loyer.

On convient à la ronde, dans les salons de madame Deschars, qu’une maison de campagne, loin d’être un plaisir, est une plaie vive…

— Je ne sais pas comment on ne vend que cinq centimes, à la Halle, un chou qui doit être arrosé tous les jours, depuis sa naissance jusqu’au jour où on le coupe, dit Caroline.

— Mais, répond un petit épicier retiré, le moyen de se tirer de la campagne, c’est d’y rester, d’y demeurer, de se faire campagnard, et alors tout change…

Caroline, en revenant, dit à son pauvre Adolphe : ─ Quelle idée as-tu donc eue là, d’avoir une maison de campagne ? Ce qu’il y a de mieux, en fait de campagne, est d’y aller chez les autres…

Adolphe se rappelle un proverbe anglais qui dit : « N’ayez jamais de journal, de maîtresse, ni de campagne ; il y a toujours des imbéciles qui se chargent d’en avoir pour vous… »

— Bah ! répond Adolphe, que le Taon Conjugal a définitivement éclairé sur la logique des femmes, tu as raison ; mais aussi, que veux-tu ?… l’enfant s’y porte à ravir.

Quoique Adolphe soit devenu prudent, cette réponse éveille les susceptibilités de Caroline. Une mère veut bien penser exclusivement à son enfant, mais elle ne veut pas se le voir préférer. Madame se tait ; le lendemain, elle s’ennuie à la mort. Adolphe étant parti pour ses affaires, elle l’attend depuis cinq heures jusqu’à sept, et va seule avec le petit Charles jusqu’à la voiture. Elle parle pendant trois quarts d’heure de ses inquiétudes. Elle a eu peur en allant de chez elle au bureau des voitures. Est-il convenable qu’une jeune femme soit là, seule ? Elle ne supportera pas cette existence-là.

La villa crée alors une phase assez singulière, et qui mérite un chapitre à part.