Berger-Levrault (p. 183-228).

CHAPITRE VII

Dans les champs de bataille

(Suite)


Ruines et misères. — Moukden violée et transformée. — Cruautés japonaises pendant la guerre. — Le Cha-ho. — Liao-yang. — Kouropatkine et Oyama. — Leurs états-majors. — Qualités et défauts des adversaires. — L’armée russe se perdit par oisiveté et présomption. — Ses fautes sont aussi celles qui nous perdirent en 1870. — Quels progrès avons-nous réalisés depuis ?


Nous quittons enfin la montagne et pénétrons dans la vaste plaine de Moukden, témoin de la plus longue et de la plus gigantesque bataille qui se soit jamais livrée. Que de ruines encore : maisons éventrées et désertes, villages croulants et abandonnés ! Dans la plaine, que les palmes du gaolian commencent à verdir, de larges espaces incultes, piqués encore des tiges brisées et noircies de la dernière récolte, incendiée ou détruite, attestent la disparition de nombreux paysans ! Où sont-ils ?

Et cette impression de calamité persiste jusqu’à Moukden.

Là, ce ne sont plus les traces brutales des combats qui marquent le triomphe des vainqueurs. Mais, si leurs obus ont respecté la vieille et sainte métropole, leurs mains sacrilèges à cette heure impudemment la violent. Les Japonais y travaillent en conquérants et en maîtres. Ils n’ont que faire de Moukden comme monument d’histoire et comme témoin des âges disparus. Le passé leur importe peu : c’est le présent et le futur surtout qui les absorbent. La ville ne répond pas aux nécessités de l’heure présente, donc ils la transformeront ; et pour cela on creuse, on pioche, on déterre même jusqu’aux pieds des portes massives et des vieilles murailles ensevelies sous plusieurs siècles d’immondices et de poussière. Poursuivant sans vains scrupules cette louable entreprise de réfection, ils veulent changer les cloaques qui servent d’artères principales en de larges rues propres et d’un aspect moderne, et pour cela encore on défonce le sol et l’on enfouit dans des tranchées profondes des assises de pierre et de gravier sur lesquelles reposera une chaussée de pavés enfin immuables. Puis sur les deux côtés on éventre les maisons pour donner de l’air et du jour. Aussi le spectacle est curieux, à cette heure, de toutes ces bouti- ques tronquées, rentrées en elles-mêmes de plusieurs pieds, qui bâillent lugubrement sur la rue de toute la longueur de leur façade détruite, ayant l’air de ruines sur lesquelles s’est abattu le pillage ou l’incendie.

Mélancoliques et effarés derrière leur comptoir, parmi l’écroulement de leurs antiques et capricieuses enseignes peintes et dorées, — une des curiosités de la vieille cité : mâts gigantesques surchargés de panonceaux laqués et d’hiéroglyphes, chimères grimaçantes et crachant du feu, dragons aux griffes menaçantes qui s’élancent des toits, se balancent au-dessus de la chaussée, emplissant tout le ciel de la rue à laquelle ils donnent un caractère si étrange ; — mélancoliques et effarés, les Chinois se demandent quelles calamités les guettent encore.

Nous, Occidentaux, nous ne pouvons qu’applaudir à cette initiative hardie qui fera de Moukden une ville presque propre ; les « fils du Ciel », plus jaloux de leurs traditions que du soin de leur personne, considèrent cette besogne d’assainissement comme la pire des catastrophes. Leurs habitudes sont bouleversées, leur chez-soi est violé, leur ville devient méconnaissable et ils ont l’impression qu’elle leur échappe et que bientôt ils n’y seront plus chez eux.

Ce qui les afflige surtout et les épouvante c’est l’afflux constant des Japonais dans la cité, c’est la place qu’ils y tiennent, c’est l’autorité qu’ils y exercent et qui se traduit par des mesures ruineuses et arbitraires, par des taxes toujours nouvelles. Aussi se prennent-ils à regretter très franchement leurs anciens maîtres, prodigues et tolérants.

Mais ne sont-ils pas eux-mêmes un peu les auteurs du mal dont ils se plaignent ; est-ce que chaque pas en avant, chaque succès japonais pendant la guerre ne furent pas aidés de leur complaisance ? Espionnage qu’ils exercent au bénéfice de l’armée nipponne, espions qu’ils servent et protègent jusque dans les lignes russes, quel but les fait agir ? Haine de race sans doute et désir de liberté, cupidité aussi puisqu’ils reçoivent des deux mains ; mais surtout crainte des représailles japonaises qu’ils redoutent après la victoire. Car les Nippons sont inexorables et leur méfiance leur fait commettre d’innombrables assassinats qui répandent une terreur favorable à leur cause ; c’est par milliers que disparaissent des Chinois soupçonnés d’espionnage au profit des Russes. Et c’est là le secret des nombreuses désertions constatées à cette heure : maisons abandonnées par leurs habitants, champs restés incultes dans l’attente du maître qui ne reviendra jamais !

Tout Chinois venant du nord, tout Chinois porteur de monnaie russe était impitoyablement décapité. Quand, après les batailles de Liao-yang et du Cha-ho, les habitants ruinés et chassés de leurs demeures se retiraient vers l’ouest dans des contrées neutres, les lamentables hôtelleries où ils avaient réfugié leur misère furent cernées souvent et de nombreux voyageurs fusillés sous prétexte que parmi eux pouvaient se cacher des espions venus du nord. Le châtiment s’affinait parfois d’une cruauté inouïe. C’est ainsi que beaucoup de ces malheureux, à genoux, les pieds liés, creusaient leur tombe où on les ensevelissait vivants, la tête en bas ; que d’autres, surtout les interprètes chinois au service des Russes, ayant la peau du visage et de la poitrine cruellement décollée, étaient abandonnés alors, les chairs déchirées et pantelantes, à la voracité des chiens et des corbeaux.

Chiens et corbeaux ! ces bêtes viles et voraces n’ont pas encore déserté les champs de bataille[1]. Des vols entiers planent sur cette plaine et incessamment y plongent ; des meutes affamées la parcourent, dans l’espoir d’y découvrir quelques reliefs de leurs atroces et fantastiques régals de jadis. Je les dérange et les effraie sur cette fameuse colline Poutiloff, qui borde le Cha-ho et que par trois fois en des attaques mémorables Russes et Japonais s’arrachèrent.

Parmi les retranchements écroulés et l’effondrement des abris blindés, aux fers tordus et brisés, j’essaie de revivre ces assauts héroïques, de reconstituer le combat. Je ne puis. Tout aussitôt une épaisse nuée m’enveloppe. Je suis aveuglé et en même temps criblé sur le visage, sur les mains, sur tout le corps d’une infinité de piqûres vives. Je sens battre et s’incruster sur ma peau moite d’innombrables petites ailes me recouvrant tout entier comme d’une écaille visqueuse et qui palpite. Je suis noir des pieds à la tête. Ce sont des tourbillons épais de moucherons qui surgissent des immenses charniers qu’un peu de terre ou de gazon recouvre. Je m’enfuis et suis obligé de me plonger dans la rivière pour me défaire de ces bestioles immondes et tenaces dont le grouillement sur ma peau me semble le contact même des nombreux cadavres qui les engendrèrent. Je reviens sur la voie ferrée en suivant les rives du Cha-ho que pendant quatre jours entiers sans répit Russes et Japonais se disputèrent. La baïonnette prolongeait, la nuit, en des corps-à-corps furieux, la besogne meurtrière des shrapnels et des balles. Plus de 10 000 hommes tombèrent en ces quatre journées sur cette partie de l’immense champ de bataille. La plaine est parsemée de croix funéraires et tout autour de ces croix, et sur d’autres points encore, le sol est inculte ou livré à l’envahissement des mauvaises herbes. « On ne peut travailler la terre, me dit un Chinois, il y a trop de cadavres ! »


sur le cha-ho
Près du village de Lamentoun, pris et repris sept fois sur les adversaires. « On ne peut encore travailler la terre, me dit un Chinois, il y a trop de cadavres ! »

Les quelques villages qui jalonnent le Cha-ho, pris et repris plusieurs fois et sur lesquels s’abattit un ouragan de fer, semblent ne pouvoir se relever jamais. Quelques habitants revenus vivent tristement sous les décombres. Ce que les obus avaient laissé debout, les soldats, eux, le démolirent : il fallait bien se chauffer pendant le rigoureux hiver qui les immobilisa cinq longs mois dans leurs tranchées, face à face, sur chaque rive.


sur le cha-ho
Sur la colline Poutiloff. ― Je suis criblé sur le visage, sur les mains, sur tout le corps d’une infinité de piqûres vives. ― Le gendarme japonais qui m’accompagna et qui imprudemment s’est assis en gémit tout le jour.

Les Chinois, l’hiver suivant, s’offrirent une revanche et pour se chauffer à leur tour se firent voleurs de croix. Partout elles disparaissaient. Les Japonais, responsables moralement des sépultures russes, prirent d’énergiques mesures. À Port-Arthur notamment, lors de mon passage je vis pendre deux Chinois. C’était un exemple nécessaire, car près de mille croix avaient déjà disparu sur les collines entourant la place. Et ces croix tragiques du cap Liao-tichan au Soungari, sur un parcours de 800 kilomètres, marquent les étapes de ce calvaire immense où succombèrent près de 100 000 combattants.


près de liao-yang
Ces ouvrages souterrains à l’envergure de forteresse ont abîmé pour longtemps le sol. — À l’horizon la tour coréenne de Liao-Yang.

Je les retrouve encore plus nombreuses dans la plaine de Liao-yang, près de ces ouvrages souterrains à l’envergure de forteresses, dont les fossés larges et profonds ont abîmé pour longtemps le sol. Je les retrouve sur la ceinture de collines défendant, au sud, la ville, et sur lesquelles des retranchements indéfiniment zigzaguent et s’allongent. Ils sont presque tous béants encore ; les seuls comblés le furent par les cadavres qui s’y entassèrent. Sur ces croupes aux flancs déchirés c’est la désolation, le roc est mis à nu et des plombs et des éclats d’obus seulement y poussent ! C’est la grêle de mort qu’y précipita le cyclone épouvantable rugissant deux longues journées sur les combattants et qui fulgura de l’éclair de 200 000 coups de canon et de plus de 5 millions de cartouches.

Liao-yang ! premier grand revers auquel s’enchaînent tous les autres. Première grande faute qui commença à faire douter de Kouropatkine et qui le fit, à partir de ce jour malheureux, douter de lui-même !

Jusque-là son attitude n’avait inspiré que de la confiance. Depuis la bataille du Yalou[2], depuis celle de Wafangou[3], ayant un effectif inférieur à celui de l’ennemi, disposant d’éléments d’une valeur contestable qu’il s’efforçait d’organiser et d’instruire sous le feu[4], il s’était retiré lentement, disputant pied à pied le terrain, réussissant à intimider, en dépit de sa faiblesse réelle, l’adversaire, qui s’attardait en une offensive inexcusable de quatre mois, alors que, rapidement et énergiquement conduite, elle eût abouti au désastre de l’armée russe.

Ce désastre, Kouropatkine l’évita, mais il eût pu l’infliger à son tour. Quand, le 1er septembre, la marche convergente des trois armées japonaises[5] dessina au sud-est de Liao-yang un croissant de fer et de feu dont la pointe orientale s’allongeait si imprudemment vers le nord, un coup d’audace, non pas, un effort de volonté simplement soutenu quelques heures, aurait pu, tout net, inévitablement, rompre ce croissant. C’était la trouée irrémédiable, la débâcle. Kuroki, l’entreprenant, acculé au Tsaï-tse-ho trop impatiemment traversé, et payant cette audace (et toutes celles qu’on lui reprochait déjà) par la cruelle obligation de se rendre ou de se faire écraser. Oyama impuissant à dégager Kuroki, qu’un trop long intervalle sépare des deux autres armées, Oyama maintenu face au nord, épuisé par deux longues journées d’inutiles attaques, sans réserves, menacé d’être entouré lui-même, ne trouvant son salut que dans la retraite.

Et cela fut près de s’accomplir. Les dépêches laconiques, les dispositions fiévreuses, les attaques désespérées des Japonais en témoignent. Dans ces mémorables journées du 31 août et du 1er septembre, ils connurent les affres torturantes de la fortune qui veut changer de camp.

Et ce qu’il y a de plus étonnant et de plus invraisemblable c’est que le chef russe eut un instant la vision très nette et très claire de l’imminence du désastre japonais ; il conclut même un plan d’attaque dont l’exécution hardie, vigoureuse, l’eût achevé[6]. Mais l’offensive, comme à l’accoutumée, manqua de feu, manqua de force et de conviction. Au lieu d’user de la puissance de leur choc, les réserves restèrent immobilisées, et si l’on fonça timidement sur un point c’était en même temps pour reculer déjà sur l’autre[7] ; et ce premier recul inexplicable fut le renoncement, l’abandon involontaire, mais fatal de la victoire. Grâce à ce répit, qu’il n’escomptait point, Oyama se ressaisit et remet de l’ordre dans ses unités ; ses troupes se réapprovisionnent et reprennent haleine ; l’élan japonais, si rudement contenu et combattu deux longues journées, se déclenche avec une force nouvelle que nulle menace et que nul obstacle n’arrêteront plus. Autant la prudence et la timidité paralysent l’action offensive des Russes, autant l’impétuosité et l’audace servent l’attaque japonaise. Et la poussée en avant, au prix de pertes énormes, se continue violente, irrésistible, indomptable ; l’enveloppement gagne les ailes ennemies, les déborde. Des régiments russes héroïquement se dévouent pour assurer une « belle retraite ». Mais il n’est pas de belle retraite quand on a perdu l’occasion de la victoire.

Au surplus, Port-Arthur, par ce recul malheureux, est définitivement isolé et le prestige de la Russie en Extrême-Orient subit un coup funeste.

Pour relever ce prestige, pour relever le moral des troupes, pour redonner confiance à la nation russe que la liste des revers inquiète, Kouropatkine se décide à tenter une action offensive, bien conçue peut-être, mais mal exécutée, laquelle aboutit à l’inutile et sanglante tragédie du Cha-ho. Série lugubre d’efforts héroïques, sans autre résultat qu’un amoncellement de cadavres et de blessés, sans autre effet qu’un ouragan ininterrompu de projectiles, puisque le dixième jour de ce combat gigantesque les adversaires se retrouvent face à face sur les lignes de départ, épuisés, fourbus, figés dans une immobilité déconcertante qui durera quatre longs mois.

De ce nouvel échec retentissant le chef paraît supporter tout seul l’accablante responsabilité. Le peuple, l’armée elle-même, qui méconnaît ses propres fautes, voient en lui l’unique coupable. Or cet homme qui sent autour de lui la défiance grandir ne se rebute ni ne se décourage. L’heure lui paraît trop grave pour se démettre d’une mission qu’il juge d’autant plus sacrée qu’elle apparaît plus périlleuse. Et, si noblement il reconnaît ses fautes, il s’applique aussi de toute son âme à corriger celles de son armée que d’autres chefs, moins consciencieux et moins nobles, s’obstinent à ne pas vouloir reconnaître. Il s’efforce de remédier au mal qu’il croit être la cause de l′insurrection, il prépare la revanche, il s’y prépare lui-même avec une inlassable et admirable énergie. Mais que peut un homme seul contre l’adversité ; que pouvait faire Kouropatkine à la tête d’une armée de 600 000 hommes comme à Moukden, quand ceux-là mêmes qui sont ses conseillers et ses auxiliaires les plus précieux se rient de ses ordres, le haïssent ou l’abandonnent ? On a dit que Kouropatkine n’était pas l’homme de la situation, c’était vrai peut-être, mais cet homme existait-il en Russie ?



près de liao-yang
Les retranchements indéfiniment zigzaguent et s’allongent. Ils sont presque tous béants encore ; les seuls comblés le furent par les cadavres qui s’y entassèrent.


On s’est plu à répéter cette boutade du vieux Dragomiroff, apprenant la désignation de Kouropatkine comme généralissime : « Kouropatkine, c’est bien, mais qui sera Skobeleff[8] ? » Skobeleff n’était pas là, Kouropatkine y était, et cela aurait dû suffire s’il avait été secondé, soutenu, avec la conscience et le dévouement qu’il mit lui, Kouropatkine, à seconder Skobeleff.

Il n’est pas d’exemple d’un génie universel. Napoléon lui-même ne gagna pas tout seul ses batailles. Les qualités de ses états-majors et de ses chefs d’armées contribuèrent pour une large part à ses succès. Mais il choisissait les uns et les autres. Kouropatkine choisit-il les siens ? Les graves conflits qui, perpétuellement, éclatèrent dans les états-majors, prouvent le contraire[9].

Sans remonter d’ailleurs d’un siècle dans le passé pour y chercher des exemples, il suffit de jeter les yeux sur l’armée adverse. Est-ce Oyama, le généralissime, qui assuma tout seul la responsabilité de la conduite des opérations ? est-ce lui tout seul l’organisateur de la victoire ? Non, ce sont d’autres avec lui. Chef illustre et d’une valeur incontestée, l’âge a néanmoins émoussé les éminentes qualités militaires qui firent ses succès passés. Il conçoit, mais d’autres aussi pensent et agissent avec lui et pour lui. Les plans et les ordres du généralissime sont le fruit du travail consciencieux et dévoué d’un admirable état-major qui s’efface devant son chef ; qui consacre avec abnégation toutes ses facultés à son triomphe ; qu’aucun intérêt personnel ne guide, mais l’intérêt commun, et dans un but unique : la victoire ; qui sait et qui se rend compte que cette victoire ne peut être obtenue que par la convergence des efforts, l’union des cœurs, des volontés et des intelligences, le respect absolu et la fidélité en l’autorité d’un seul.

Sans cette parfaite confiance en ses auxiliaires, comment comprendrait-on la si complète sérénité du généralissime, même dans les circonstances les plus critiques ? Ne le voit-on pas le jour décisif de la bataille de Moukden, à 30 kilomètres en arrière des lignes, surveillant les opérations, maniant les réserves du bout de son téléphone, tout en donnant la becquée au vol de pigeons familiers qui le suit depuis Liao-yang !

C’est que pour l’exécution de ses plans il comptait sur la valeur et le dévouement des Nodzu, des Nogi, des Oku et des Kuroki, et que ceux-ci à leur tour étaient servis par le dévouement et l’abnégation d’incomparables auxiliaires.

Si Kouropatkine avait disposé d’une pléiade de généraux semblables, peut-être ne lui eût-on pas reproché sa timidité d’attaque, cette absence de volonté tenace, ce manque absolu du « tout oser ». Mais pour tout oser il faut être sûr de ses moyens, il faut être convaincu à l’avance, quoi qu’il en soit et quoi qu’il en coûte, de réussir. Or la crainte de l’insuccès perce toujours dans les opérations russes même les plus énergiques. Alors que l’on attaque on prévoit déjà la retraite. Malheureuse disposition naturelle d’esprit du grand chef, mais entretenue, augmentée et excusée par la suite ininterrompue de revers partiels qui sont la preuve irréfutable de l’incapacité d’un trop grand nombre de ses auxiliaires. Les qualités essentielles qu’il reconnaît à ses adversaires, et dont il déplore l’absence dans ses propres rangs, lui conseillent la prudence. Il doute d’être suivi et soutenu dans les audacieuses tentatives qui, seules cependant, assureraient le succès. Il se refuse à l’idée d’une victoire éclatante parce qu’en la cherchant il redoute de consommer un irréparable désastre ; et c’est en évitant toujours et constamment ce « plus grand désastre » qu’il aboutit fatalement à cette trilogie désastreuse : Liao-yang, le Cha-ho, Moukden !

Dans un ouvrage récent, dont la censure impériale n’a pas autorisé la publication complète, Kouropatkine, tout en reconnaissant ses fautes, plaide sa défense et explique les causes de la défaite. Le réquisitoire que le généralissime dresse contre certains de ses principaux lieutenants : Kolbars, Grippenberg, Bilderling, Rennenkampf, est accablant. D’aucuns se récrient et le disent trop sévère. Toutefois on ne peut nier que l’indépendance, l’insoumission, la rébellion même de certains généraux contre l’autorité du chef suprême furent une des causes de l’insuccès des opérations, en même temps qu’un encouragement général à l’indiscipline. Un exemple frappant eût été nécessaire dès le début, à Tache-Kiao, où déjà cette mésentente entre généraux se manifeste[10] : Stakelberg émet l’avis qu’il convient de battre en retraite. Sur quoi le général Zaroubaïew « prend sur lui » de prescrire le maintien sur les positions. Qui donc commande ? Dans cette même action le général Michtchenko « consent » à soutenir l’attaque projetée par le général Chileiko, tandis que le major Kassovich refuse tout net son concours[11].

Et ce n’est là que le début de cette insubordination qui éclate plus répréhensible et plus néfaste dans le cours des opérations, parmi les commandants d’armées et les états-majors.

Si Kouropatkine commit des erreurs tactiques, il en commit une autre plus regrettable par bonté et par faiblesse : c’est de n’avoir fait un exemple brutal mais impérieux qui eût rappelé tout le monde à son rôle et à son devoir. C’est ce que le vieux général Liniévitch, en prenant de ses mains le commandant suprême, lui reprocha.

— Excellence, dit-il, vous avez commis une grande faute.

Kouropatkine répondit : — Excellence, mes fautes ont été nombreuses, je le sais, et Moukden en est la conséquence.

― Non, je ne parle pas des fautes tactiques et stratégiques, se récria le vieux général, tout le monde en commet, je veux parler d’une faute morale qui vous fit plus de mal que les balles japonaises. Vous auriez dû faire fusiller X…[12].



Et ces croix tragiques, du cap de Liao-Tichan au Soungari, sur un parcours de 800 kilomètres marquent les étapes de ce calvaire immense où succombèrent près de 100 000 combattants.


Cette mort vous en eût évité bien d’autres.

― Excellence, je l’ai compris trop tard, dit tristement Kouropatkine. Et Liniévitch ajouta devant tous : « Je n’hésiterai pas à traduire devant une cour martiale l’officier, de quelque rang qu’il soit, qui ne fera pas son devoir. »

Cette déclaration produisit un effet salutaire, car le loup de Sibérie, le « vieux troupier », comme l’appelaient par mépris les officiers de cour, aurait même sur eux usé de son pouvoir discrétionnaire.

Des généraux vivaient loin de leurs troupes, à proximité de certaines stations, dans des wagons luxueux encombrant la voie.

— Pourquoi tel et tel chef ne sont-ils pas près de leurs hommes ? demanda Liniévitch.

― Par manque de logements convenables, Excellence.

— Alors dites-leur que s’ils n’en ont point trouvé avant vingt-quatre heures, eux et leurs wagons seront accrochés au train de Pétersbourg !

Instantanément, les corps qui se croyaient privés de chefs les retrouvèrent.

À l’incapacité, à l’insouciance ou à l’ignorance de leurs devoirs que Kouropatkine reproche à certains chefs, il faut ajouter (parmi tant d’autres causes d’insuccès) l’ignorance de leurs soldats. Ce fut l’instituteur allemand qui gagna les batailles de 1870, a-t-on dit ; c’est la supériorité intellectuelle japonaise qui fit pencher, du côté de l’armée du mikado, la victoire. Sachant lire, sachant penser, sachant voir et sachant déduire, sachant juger et sachant prévoir, le soldat japonais est l’homme qui tue avec adresse et discernement, le russe c’est celui qui bravement mais maladroitement se fait tuer. L’un et l’autre se sacrifient, mais le premier avec intelligence, le second par fatalité. Au surplus, aucun souffle généreux et patriotique ne l’anime[13]. De quel enthousiasme peuvent d’ailleurs être enflammés ces réservistes arrachés à leur famille qui se battent et se font tuer à 10 000 kilomètres de leur foyer, dans un pays qui les effare et pour une cause qu’ils ne comprendront jamais !

Mal instruits, mal entraînés, chez la plupart l’âge a déjà abattu cette force virile de laquelle naissent l’entrain et la capacité de résistance. L’on en voit après une action violente, après un assaut brusquement mené, haletants, suffoqués, incapables d’un effort longtemps soutenu. Cette inaptitude offensive explique l’amour exagéré de la position, ce besoin de rempart continuel, cette tactique prudente, mais inefficace, que le chef même qui la réprouve, est obligé d’adopter.

« Par grâce, télégraphiait Kouropatkine, plus de réservistes ! envoyez-moi des hommes solides, des recrues même si vous n’en

avez pas d’autres ; je les formerai sur le champ de bataille, mais au moins j’aurai de véritables soldats.

À Pétersbourg, Sakharoff, son ennemi, s’écrie, dit-on, à la réception de ce télégramme : « Kouropatkine oublie pour donner des ordres au gouvernement qu’il n’est plus ministre de la guerre. » Et le généralissime russe, au lieu des renforts sérieux qu’il réclame, reçoit encore des réservistes !

Quand, enfin, les solides contingents arrivent, Moukden est tombée. D’ailleurs si ces hommes ont la force, l’instruction, la jeunesse, ont-ils encore l’esprit de sacrifice et de patriotisme ? Ils doutent de la justice de la cause qu’ils viennent défendre. La crise de révolte qui sévit en Russie a porté atteinte à leur loyalisme et ils ramènent de là-bas des idées et des théories corruptrices et déprimantes qui germent peu à peu dans les cerveaux, se propagent, inoculent de proche en proche un venin qui empoisonne les camps.

Les Japonais, instruits de cet état d’esprit par leurs espions et leurs affidés, l’aggravent. Des manifestes secrets circulent : « Braves soldats de Russie, ce n’est pas à vous que nous en voulons, vous êtes des frères malheureux que nous aimons, que nous plaignons ; mais c’est au régime qui vous opprime, à ce régime qui vous envoie souffrir et mourir ici pour nous disputer le droit de vivre et nous enlever le pain de nos femmes et de nos enfants. » S’ajoutant à la souffrance physique, à la souffrance morale résultant de l’éloignement indéfini du foyer, de l’humiliation et du découragement de la défaite constante, ces excitations perfides, jointes aussi aux menées des révolutionnaires russes, ne tardent pas à porter leur fruit.

Cet immense troupeau, si longtemps héroïquement impassible et docile dans l’adversité, se rebelle enfin. L’indiscipline des grands chefs a gagné les hommes et cela devient inquiétant pour l’avenir. Des officiers ne sont plus obéis, d’autres sont insultés. Des corps entiers sont maintenus à grand’peine. Les cosaques du Caucase furieux de n’être point rapatriés se livrent à des déprédations excessives. On pille, les habitants terrorisés s’enferment chez eux. Et tel est l’effroi que ces brigands inspirent que tout Chinois qui les rencontre, immédiatement et de lui-même, ouvre toute grande sa robe, se déshabille pour permettre aux cosaques de le fouiller plus aisément et sans trop de violence !

Les autorités militaires russes affirment qu’à l’heure de la paix l’armée, en raison de ses renforts importants, était sûre de la victoire définitive. N’est-il pas permis d’en douter quand on a vu la satisfaction avec laquelle cette annonce de paix fut accueillie par un grand nombre de soldats ? Kouropatkine était remplacé, mais cela garantissait-il le succès à venir ? Est-ce que les fautes innombrables dont on le rendait injustement l’unique responsable ne devaient plus être commises ? Erreurs ! Les fautes que Kouropatkine avaient faites, d’autres les auraient commises après lui : « La doctrine de temporisation qu’il mit en œuvre ne lui fut pas particulière ; elle fut celle de la presque totalité de ses sous-ordres et rencontra, au début, dans la majorité de l’opinion russe une approbation unanime. Ce n’est pas un homme, ce ne sont pas des hommes qu’il faut accuser, se sont les institutions. La doctrine d’une armée n’est pas l’œuvre d’un individu ; elle est l’émanation d’un état d’âme national[14]. »

Toutefois malgré ses défaillances, malgré ses erreurs ou ses fautes, l’armée russe ne mérite pas la condamnation injuste dont elle a été l’objet de la part des nations. Par son endurance admirable, par son opiniâtreté jamais lassée dans la résistance et la défaite, par son courage héroïque et farouche elle a prouvé qu’elle était capable de grandes choses encore. Mais ces réelles et solides qualités, pour la servir utilement, demandent une orientation plus moderne.



débarquement japonais d’après une gravure japonais
(Illustrations de ce genre très répandues au Japon pendant la guerre)


Trop attachée aux vieux principes qui firent sa grandeur, elle refusa trop longtemps de croire à l’efficacité des théories actuelles[15]. Le siècle avait marché. L’armée russe n’en continuait pas moins à mettre dans le culte jaloux de sa gloire passée le gage de sa force présente. Elle se perdit par présomption et un peu par oisiveté. Ses défaites sont le fruit des mêmes errements qui nous conduisirent, il y a trente-cinq ans, aux pires désastres.

Aussi devant cette brusque évocation de l’une des périodes les plus douloureuses de notre histoire, devant l’humiliation de nos alliés et la débâcle de leurs illusions, une inquiétante question naturellement se pose :

« À leur place quelle eût été notre attitude ? »

Résolument, en toute franchise, sans témérité ni présomption nous pouvons nous répondre :

L’armée française eût été au moins à la hauteur de l’armée adverse.

En effet, depuis l’année tragique que de progrès accomplis ! Ce n’est pas seulement notre armée qui s’organise, s’augmente et égale bientôt en force celle du vainqueur, grâce aux généreux sacrifices que le pays s’impose ; ce n’est pas seulement l’armement qui avec rapidité se transforme et se perfectionne au point d’exciter les jalousies rivales, mais c’est aussi notre méthode et notre esprit tactiques qui se renouvellent et aboutissent au règlement du 28 mai 1895, la plus admirable synthèse de la bataille moderne qui ait été écrite. Tout ceci on paraît souvent l’ignorer.

Depuis cette année sombre où notre orgueil fut si cruellement mis à l’épreuve, il semble que nous ayons gardé une invincible défiance de nous-mêmes et la crainte sinon la conviction de notre infériorité.

Prompts à nous critiquer et à nous exagérer nos erreurs ou nos faiblesses, nous allons trop volontiers chercher ailleurs des enseignements et des modèles[16].

Bien après 1870, alors que ressaisis et redevenus forts, nous n’avions plus rien à redouter de l’Allemagne, beaucoup d’entre nous étaient encore hypnotisés par l’ascendant de sa victoire. Pour ceux-là le salut n’existait que dans la germanisation de nos moyens et de nos procédés, on voulut tout germaniser, jusqu’à nos qualités et ainsi risquer d’en compromettre l’effet utile par une imitation inadéquate à notre tempérament et à notre caractère. À cette heure il en est qui cherchent des leçons de vie du côté du Japon, sans se douter cependant que les principes qui firent ses succès sont ceux codifiés par nos règlements, que leur tactique, surtout en ce qui concerne l’infanterie, en fut le scrupuleux commentaire.

Sans doute, en portant un regard attentif sur les vainqueurs, nous en retirerons de profitables leçons. Mais au moins parce que nous y découvrirons de nouveaux principes que parce que nous y trouverons la confirmation de l’excellence des nôtres, et que nous serons entraînés ainsi à nous en assimiler mieux l’esprit et à persévérer plus laborieusement dans leur pratique. « Car il ne suffit pas d′admettre théoriquement dans une armée certains principes pour être assuré qu’ils seront judicieusement appliqués en temps de guerre, il faut en outre et surtout qu’ils aient pénétré cette armée jusqu’aux moelles par une longue pratique préalable. Au combat, en effet, on n’agit guère la plupart du temps que d’une manière presque instinctive : le moment n’est pas propice aux longues réflexions. Il faut, en conséquence, que la pratique incessante du temps de paix ait préparé et régularisé l’action quasi automatique de notre pensée sur notre volonté[17]. » Donc travaillons encore et travaillons toujours, c’est là le principal enseignement de cette grande guerre.

Poussés par un inexplicable et singulier besoin de chercher « trop haut et trop loin » les causes de certains phénomènes cependant simples et naturels, nous avons attribué les succès japonais à des motifs qui les ont parfois étonnés eux-mêmes.

N’avons-nous pas vu prôner le jiu-jitsu comme la méthode de combat et d’entraînement qui fit du soldat nippon le plus redoutable adversaire du monde ? Or, pratiqué seulement par les professionnels et quelques fervents de sport, le jiu-jitsu était inconnu du peuple, inconnu des soldats, inconnu de beaucoup d’officiers, et cela je l’affirme, m’étant moi-même adressé à plusieurs d’entre eux qui ne purent me l’enseigner.

Ne s’est-on pas imaginé voir aussi dans une certaine catégorie de femmes japonaises, des femmes guerrières, intrépides, tirant de l’arc et jouant au besoin du sabre du samouraï ; ne s’imaginait-on pas toutes les femmes japonaises inculquant à leurs enfants l’instinct et l’amour de la lutte, amoureuses elles-mêmes des choses guerrières ? La femme japonaise est moins que cela, mais elle est une mère admirable et tendre, et c’est assez pour qu’à l’exemple des nôtres, la guerre l’effraie, la torture et lui apparaisse comme la pire des calamités puisqu’elle lui arrache ses enfants.

Et ce qui prouve que cette guerre, aux yeux de toutes les mères japonaises, n’était pas un événement heureux ni désiré, ce sont les larmes publiques qu’elles ne pouvaient retenir, en dépit de la réprobation que leur valait cette faiblesse, dans ce pays où le devoir exige que la douleur se masque d’un perpétuel sourire.

N’a-t-on pas dit encore que le Bushido, code chevaleresque et moral des samouraïs, avait fait la victoire japonaise parce que toute l’armée, toute la nation même, était imbue de ces généreux et héroïques principes ? — erreur encore accréditée fortement en Europe pendant la guerre par les publications du baron Suyematsu sur le culte national du Bushido. Or, les fidèles survivants de la vieille armée et du vieux régime mis à part, les jeunes générations d’officiers formées depuis Meiji trouvent leur règle de conduite dans la connaissance et l’application de principes plus simples et moins antiques, « principes qui ne diffèrent guère d’ailleurs quant au devoir militaire, de ceux en honneur dans les armées européennes et ne leur sont nullement supérieurs en noblesse et en élévation »[18]. Donc, dégagée de toutes les exagérations hyperboliques, dont nos imaginations éprises « de causes nouvelles ou supérieures » se sont plu à l’entourer, la valeur du soldat japonais, tout comme chez le nôtre, trouve sa cause et sa force initiales dans l’amour du pays, le désir de son indépendance et de sa grandeur.



combat en mandchourie, d’après une gravure japonaise
Traduction de la légende en caractère japonais : Notre armée surprend et bombarde l’armée ennemie ; elle réussie à s’emparer d’assaut de l’imprenable forteresse de Taisekyo.


Les Japonais ne furent ni plus grands ni plus héroïques que nos sublimes soldats de 1793, que les étonnants grognards de l’Empire qui firent trembler l’Europe ; que nos africains intrépides qui nous dotèrent de l’Algérie au prix de fatigues et de souffrances inouïes, et de privations toujours recommencées. Les soldats japonais ne furent ni plus valeureux que nos glorieux soldats d’Italie et nos rudes soldats de Crimée, ni plus superbes que les héroïques vaincus de 1870, nos frères malheureux, qui malgré l’adversité, illustrèrent de tant de pages admirables leur lamentable histoire !

Or ces vertus, chez nous, ne peuvent être mortes. Une trop longue lignée d’ancêtres glorieux en a laissé dans notre sang le germe impérissable. Il nous suffira de les faire renaître et de les cultiver par une éducation morale dévouée et sérieuse.

Et cette éducation, qui peut plus facilement et plus profitablement la donner que ceux-là mêmes qui sont chargés d’apprendre leur devoir de soldat à tous les Français de l’armée nouvelle ? L’officier, non plus seulement le trop sévère professeur de ses hommes, mais devenu leur compagnon de devoir, leur conseiller et leur guide, — c’est l’armée de demain…

Cela encore n’est point une leçon de la dernière guerre, puisque le rôle moral de l’officier est une obligation de notre règlement actuel, élaboré bien avant 1904 : « L’officier n’est pas seulement l’instructeur de ses hommes, il en est surtout l’éducateur. C’est dans ce dernier rôle qu’il affirmera sa supériorité et créera cette confiance et cette subordination volontaires qui feront que le « Suivez-moi » du chef ne sera jamais un vain mot, et que là où il ira, il trouvera toujours le soldat français derrière lui[19]. »



  1. Juillet 1906.
  2. Sur le Yalou : 18 000 Russes contre 42 000 Japonais (Ire armée japonaise à trois divisions).
  3. Wafangou : 30 000 Russes et 94 bouches à feu contre 40 000 Japonais et 216 bouches à feu.
  4. Dès avril 1904 il rédige des instructions tactiques qui se renouvellent et s’amplifient après chaque combat et montrent, par l’insistance qu’elles mettent à rappeler les principes les plus élémentaires de la guerre moderne, à quel degré ces principes étaient ignorés de la plupart des officiers et des hommes. Combien sont plus brèves et moins nombreuses les instructions tactiques du généralissime japonais. C’est que de ce côté-là tous les combattants sans distinction de rang comprenaient leur rôle et connaissaient leur métier.
  5. Ire armée, Kuroki : À l’est dans les montagnes ; IVe armée, Nodzou : Au centre et plus au sud ; IIe armée, Okou : À gauche et à hauteur de la IVe armée.
  6. Il rappela vers le nord-est sur la droite du Tai-tseho trois corps entiers (1er et 3e sibériens, 10e corps européen) qui renforcèrent le 17e, formant ainsi une puissante masse offensive susceptible d’écraser Kuroki.
  7. En effet, le mouvement esquissé contre Kuroki vers le nord-est détermine en même temps l’abandon prématuré des positions fortifiées couvrant Liao-yang vers le sud, et sur lesquelles les troupes russes avaient résisté victorieusement durant quarante-huit heures aux attaques forcenées des IIe et IVe armées sous le commandement direct du maréchal Oyama.
  8. Kouropatkine avait été le chef d’état-major de Skobeleff dans la campagne turco-russe et comme tel avait fait preuve de qualités éminentes. Mais beaucoup d’officiers russes et en particulier Dragomiroff lui déniaient néanmoins les qualités du réel commandant en chef.
  9. Un intime de Kouropatkine me dit alors : « Il faut autant d’habileté et de tactique au généralissime pour se défendre de son entourage que pour se défendre des armées japonaises. »
  10. Guerre russo-japonaise, par le chef d’escadron breveté H. Meunier. (Combat de Tache-Kiao, p. 164.)
  11. Si l’on ne rencontre pas toujours cette attitude franchement hostile entre les chefs et entre leurs sous-ordres, on ne trouve pas très fréquemment non plus cette liaison entre les armes et les unités, cette aide mutuelle et cette convergence d’efforts d’une aussi impérieuse nécessité sur les champs de bataille modernes. Dans une étude publiée dans la Revue militaire générale (n° 1, 1907), le général Lombard, directeur des troupes coloniales, chef de la mission française à l’armée japonaise de Mandchourie, met en relief, par de saisissants exemples, ce manque d’entente et de coordination qui compromit tant de fois le succès des opérations russes. Artillerie, infanterie, cavalerie ne marchent « point assez ensemble », chacune opérant pour soi, cherchant son affaire ou sa petite bataille. Le général insiste à ce propos sur la difficulté réelle que rencontre l’application judicieuse du principe de la « liaison des armes » et cite impartialement les quelques fautes du début commises par l’armée japonaise pourtant si imbue de ce principe : c’est qu’on n’accomplit bien à la guerre que la tâche accoutumée. « Sachons profiter nous-mêmes de ces enseignements, ajoute l’auteur, faisons naître et multiplier les occasions de contact, de fréquentation, d’endivisionnement des troupes de toutes armes, trop portées parfois à s’enfermer dans un quant-à-soi dangereux, travaillons de toute notre âme à l’expansion et à l’affermissement de cette camaraderie du temps de paix, gage de la camaraderie du champ de bataille, sans laquelle il n’est pas de succès. »
  12. Un commandant d’armée qui se mit dans un cas d’indiscipline grave et qui fut la cause d’une défaite.
  13. Il n’est question ici que des contingents de réserve envoyés hâtivement en Mandchourie, car je ne mets nullement en doute la valeur et les vertus indiscutables de la véritable armée russe européenne, instruite, disciplinée et forte dont on refusa malheureusement trop longtemps le concours au généralissime.
  14. Guerre russo-japonaise, commandant Meunier.
  15. La balle est folle, seule la baïonnette est sage, s’écriaient encore les disciples et partisans de Dragomiroff. Or la balle est devenue plus disciplinée et plus redoutable et peut en de nombreux cas rompre l’élan furieux des baïonnettes. Il faut donc compter avec elle.
  16. Sauf au point de vue industriel et commercial. Voir le chapitre X : « Pourquoi nous sommes battus. »
  17. Général Lombard, « Le principe de la liaison des armes ». (Revue militaire générale, n° I. Berger-Levrault et Cie.)
  18. Conférence faite à la réunion de l’Alliance française à Yokohama par Fr. Harnois : « Impressions d’un Européen campagnard sur la guerre russo-japonaise. » Le même orateur ajoute : « J’ai même eu, à propos du Bushido, la malice bien innocente d’interroger à brûle pour point des étudiants du lycée supérieur, des officiers et élèves officiers sur les grands noms cités par le baron Suyematsu et qu’il nous dit être aussi familiers au Japon que les noms de Voltaire et Rousseau en France, Johnson et Goldsmith en Angleterre. Confucius, voile-toi la face ! Sur cinq noms cités on n’en connaissait que deux, encore se trompait-on d’un siècle sur la date de leur naissance. Pour ce qui est du contenu des ouvrages écrits par ces savants personnages, on ne savait rien de rien, sinon qu’ils avaient dû traiter des sujets de morale quelconques ; par contre on connaissait fort bien Goldsmith et même un peu Voltaire et Rousseau. »
  19. Règlement sur les manœuvres.