Pensées sur la dévotion


Pensées sur la dévotion


PENSÉES SUR LA DÉVOTION.
(1681.)

I. Les dames galantes qui se donnent à Dieu, lui donnent ordinairement une âme inutile qui cherche de l’occupation ; et leur dévotion se peut nommer une passion nouvelle, où un cœur tendre qui croit être repentant, ne fait que changer d’objet à son amour.

II. Quand nous entrons dans la dévotion, il nous est plus aisé d’aimer Dieu que de le bien servir. La raison en est que nous conservons un cœur accoutumé à l’amour, et une âme qui avoit beaucoup d’habitude avec les vices. Le cœur ne trouve rien de nouveau, dans ses mouvements : il y a beaucoup de nouveauté, pour une âme déréglée, dans les sentiments de la vertu. Ainsi, quelque changement qu’il paroisse, on est toujours le même qu’on a été. On aime comme on aimoit : on est injuste, glorieux et intéressé, comme on l’étoit auparavant.

III. La vraie dévotion est raisonnable et bienfaisante : plus elle nous attache à Dieu, plus elle nous porte à bien vivre avec les hommes.

IV. La vie des religieux est la même, pour la règle ; mais inégale, par l’inégalité de l’assiette où se trouvent les esprits.

V. Le doute a ses heures dans le couvent : la persuasion les siennes. Il y a des temps où l’on pleure les plaisirs perdus, des temps où l’on pleure les péchés commis.

VI. La meilleure de toutes les raisons pour se résoudre à la mort, c’est qu’on ne sauroit l’éviter. La philosophie nous donne la force d’en dissimuler le ressentiment, et ne l’ôte pas : la religion y apporte moins de confiance que de crainte.

VII. À juger sainement des choses, la sagesse consiste plus à nous faire vivre tranquillement, qu’à nous faire mourir avec confiance.

VIII. Les belles morts fournissent de beaux discours aux vivants, et peu de consolations à ceux qui meurent.

Attendant la rigueur de ce commun destin ;
Mortel, aime la vie, et n’en crains pas la fin.