Pensées détachées/Fragments sur les femmes


FRAGMENTS SUR LES FEMMES


I


Jurisprudence. — Une femme vous résiste après les coquetteries et un engagement. Vous prenez de l’humeur, vous la montrez dans le monde, et le monde se moque et dit : « Elle le maltraite. Il n’est pas heureux. » Que faut-il faire alors ? Quid juris ? Il faut voiler sa colère et abonder en démonstrations passionnées. Si vous n’êtes pas heureux, vous semblez l’être et vous la compromettez.

II

Je la flattais. — « Vous me dites cela, — dit-elle avec des yeux soupçonneux et lâches, mais si beaux ! — et c’est peut-être la millième fois que vous l’avez dit à d’autres femmes… » — « Si je vous apportais — lui répondis-je — un certificat de toutes les femmes comme quoi je ne le leur ai jamais dit, vous me croiriez donc ?… »

Elle ne répondit pas.

Son silence n’était pas assez femme. Il aurait été plus femme de répondre : — « Oui ! apportez-le, et je vous croirai, mais pas avant. »

III

On parlait chemins de fer. Dame ! je risquai mon petit aperçu comme un autre ingénieur :

— « On a tort de détruire l’absence, — fis-je.

— Comment s’aimera-t-on ?… »

« Votre profondeur est toujours cruelle, » — fit Isaure de G… — « Ah ! mademoiselle, — répondis-je, — quand on creuse la pensée, on trouve toujours le froid à une certaine profondeur ; et le froid, pour les femmes, c’est la cruauté. »

IV

Quand on aime un peu, tout est raison pour aimer davantage. Vous leur diriez : « Prenez garde ! je suis une affreuse machine de Birmingham, en acier poli, qui fonctionne l’amour et qui tue, » qu’elles vous diraient : « Eh bien, broie-moi ! »

Oui ! si vous dites : « qui fonctionne l’amour ; » mais si vous n’en parliez pas ?…

(À souper chez…)

V

Sans la Manon Lescaut que chacun traîne après soi, le Vicaire Savoyard serait catholique.

VI

Les femmes s’attachent comme des draperies, avec des clous et un marteau.

VII

Partout où les femmes sont sur le trône, la corruption est dans les mœurs.

VIII

Quand on aime, une distraction de monde est l’infidélité des femmes honnêtes.

IX

Les amitiés de femmes sont des pelottes dans lesquelles elles piquent leurs aiguilles, ou encore de ces jolies coupes d’agate ou de bronze que l’on met sur les cheminées et qu’on appelle, je crois, des vide-poches.

X

De femme à femme, pas une femme honnête. Toutes des scélérates, en plus ou en moins.

XI

Il n’y a jamais qu’une femme qui puisse guérir d’une autre femme. Le diamant seul peut rayer le diamant. Les clous enfoncés cyclopiquement ne s’arrachent plus ; on les chasse avec un autre clou.

XII

À force d’amour et dans l’intérêt de leur amour, les âmes très pures doivent avoir l’hypocrisie et le courage des choses physiques et des tentatives audacieuses qui naturellement leur répugnent, en raison même de leur élévation et de leur supériorité.

XIII

Les femmes donnent leur mesure par leurs amours. Nous, non. Nous pouvons aimer au-dessous de nous sans déroger ; nous pouvons élever jusqu’à nous la dernière des femmes, mais les femmes tombent toujours au niveau de l’homme qu’elles ont le malheur d’aimer. Almaviva n’est pas déshonoré parce qu’il prend Suzanne par la taille, et il aurait une passion pour elle au lieu d’un caprice de sultan, qu’il n’y aurait là pour lui aucune dégradation morale ou esthétique ; mais si la comtesse Almaviva aimait Figaro (et pourtant il a diablement d’esprit !), elle nous dégoûterait… C’est un laquais ! Un laquais, un cuistre d’université faisant la classe et donnant la pâtée aux garçons, voilà ce qu’une femme distinguée et spirituelle n’aimera jamais sans partager un peu le genre de poésie de ces gens-là, c’est-à-dire sans un ridicule affreux.

XIV

Avoir l’air d’un homme qui se sacrifie quand on ne fait que sa volonté, est l’art suprême en matière de femmes comme en matière de peuple. Entortillé dans les draperies du sacrifice l’amour a sa véritable robe d’enchanteur, et peut-être le meilleur de son despotisme est-il dans son hypocrisie. Toutes les femmes savent bien cela. Mais si elles le savent et nous y prennent, il faut bien le leur rendre et les y prendre à notre tour.

XV

Les femmes ne sont pas mises dans le monde pour couronner messieurs les rosiers de la modestie, s’il y en a. Elles couronnent des vainqueurs, des confiants et des fats.

XVI

Ne donnez pas une voix, ne cherchez pas une forme à moitié dévoilée à l’inconnu. L’inconnu, c’est le Diable, pour les femmes ! Sa meilleure définition est la pourtraicture de monsieur Satan. C’est… un inconnu.

XVII

Les femmes les plus distinguées de nos civilisations font quelquefois, en fait d’hommes et de causeries à voix basse devant tout le monde, ce que font les femmes sauvages, qui gâtent leur oreille par d’horribles pendants, soit quelque œuf de vilain oiseau, soit quelque ignoble verroterie. L’animal inférieur se retrouve toujours.

XVIII

Je suis de ceux qui croient que tous les amours sont tués par l’absence, ou peuvent l’être. Ce n’est qu’une question de temps… Sans la présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie, nous ne l’aimerions pas deux jours, et sainte Thérèse elle-même serait impossible.

XIX

Il est des moments dans la vie où pour baiser le bas d’une jupe on passerait sur le corps des femmes qu’on adorait hier avec le plus d’idolâtrie.

XX

Je ne crois pas à l’amitié des femmes. La loi qui régit l’humanité est salique ; nous n’avons point de pairesses. L’amitié d’une femme, c’est de l’amour vierge ou de l’amour veuf. C’est avant ou après.

XXI

Toute femme dont on veut être aimé et qui ne vous aime pas encore, n’est qu’une ennemie.

XXII

On aime seulement les femmes belles ; on adore les laides… quand on se met à les aimer. Est-ce que nous ne sculptons pas notre rêve dans la chair infirme de toutes les femmes que nous aimons ? Est-ce qu’elles existent autrement que par nous ? Est-ce que nous ne sommes pas leurs archevêques de Rheims, et notre génie n’est-il pas la colombe qui nous apporte le saint-Chrême avec lequel nous les sacrons reines de nos cœurs ?

XXIII

Les crampons de la passion, je les connais. L’intelligence se cabre, mais la volonté la renverse. On est comme cet officier anglais sur la tombe de qui on a mis, devant Sébastopol : Renversé mais non détruit !

XXIV

Ils ont bien fait de donner le vert pour couleur à l’espérance, — c’est la couleur du vert-de-gris ; car il n’y a pas de sentiment qui s’oxyde plus vite et qui empoisonne mieux les cœurs !

XXV

Avec les femmes, pourquoi des scrupules ? On leur dit ce qu’on veut, et c’est si femme d’avoir de la grâce, qu’on peut parler de la grâce de toutes à toutes. Elles doivent en avoir. C’est donc une galanterie obligée. D’ailleurs, elles ne réclameront pas, et si un homme souriait d’un mot mal employé, n’a-t-on pas toujours une sublime réponse : Elle n’a de grâce pour personne, c’est vrai, mais elle en a pour moi ? Ce qui fait du coup deux impertinences et une fatuité.

XXVI

Le coup de foudre qui renverse Paul sur le chemin de Damas est, pour les femmes, dans leur vanité ou dans leur cœur, jolie petite boîte dont le fond est de la vanité encore. Paul était un homme de grand génie, de grand caractère, capable de tout. Ah ! que je comprends bien ce qui l’a renversé et conquis à Dieu. Mais Pauline, Paula ou Paulette… cela se ramène au rivage avec un filet tissé de séductions, ou un harpon de flatteries qu’on enfonce jusqu’au manche dans les joints de la vanité.

XXVII

On aime beaucoup plus pour les défauts de la personne aimée que pour ses qualités, parce qu’ils individualisent davantage. La beauté tend à l’unité, tandis que la laideur est multiple.

XXVIII

Inexplicable nature que celle de la femme ! Je m’étonne qu’il y en ait eu qui soient devenues Saint-Simoniennes. Le Saint-Simonisme voulait l’émancipation de la femme, et il n’y a pas un moraliste qui ne la veuille aussi, cette émancipation. Les raisons de ce désir qui travaille toutes les têtes pensantes sont écrites partout. Eh bien, c’est par les femmes surtout que cette émancipation est le plus repoussée ! C’est toujours par intérêt qu’on est lâche ; elles trouvent du bonheur à rester victimes.

XXIX

En fait de femmes, c’est dans les huîtres que l’on trouve les perles.

XXX

Je trouve dans les Mémoires de Tilly, ouvrage spirituel, d’une grâce un peu fate, mais amusant et d’un goût assez filtré :

« Un bon moyen de n’en pas manquer une, ce serait de mourir pour elles et de revenir au monde après… On les aurait toutes. »

XXXI

La plus triste, hélas ! de toutes les vieillesses, c’est la vieillesse de l’amour.

XXXII

La seule garantie d’une femme contre vous, est toute et seulement dans l’affection qu’elle a pour un autre. Mais cette affection la rend-elle invulnérable ? La femme est tellement extérieure, tellement soumise à l’influence de qui veut en avoir sur elle, qu’il est très facile de dépoétiser et d’éteindre cette affection pour un autre. — L’attaquer surtout par le ridicule, moyen sûr avec une femme commune. Par le mépris fondé ou non, mais motivé (comme vous pourrez), avec une femme distinguée.

XXXIII

La plus délicieuse sensation que puissent donner les femmes, c’est la jalousie dont elles se prennent les unes contre les autres et dont on est la cause agissante.

XXXIV

On paie de tout, on s’acquitte de tout, avec de l’amour. On efface même le malheur que l’on a causé.

XXXV

Un premier amour influe sur toute la vie. On aime après, on aime encore, et peut-être aime-t-on davantage ; mais on porte un signe dans le cœur, signe maudit ou béni, mais ineffaçable. Le doigt de la première aimée, c’est comme celui de Dieu : l’empreinte en est éternelle. À chaque amour qui finit, à chaque illusion qui s’en va, à chaque boucle de cheveux coupée sur des têtes mortes, une seule image se traîne dans le vide du cœur et il semble toujours qu’il n’y en a qu’une seule qu’on ait trahie.

(Tiré de Ce qui ne meurt pas.)

XXXVI

Les âmes hors du commun s’entendent même quand elles s’éloignent.

XXXVII

Quand une jeune femme accuse son mari dans des confidences à sa mère, ou elle, est une âme sans noblesse ou elle ne l’aime plus.

XXXVIII

Souffrir quand on aime, c’est doux et bon, car c’est le bonheur du martyre ; mais souffrir de ne plus aimer, voilà le malheur de la vie ! Mal bien grand, car on meurt d’aimer, et on ne meurt pas de n’aimer plus.

XXXIX

Peut-être n’y a-t-il qu’une mère malheureuse et coupable qui puisse aimer passionnément son enfant. C’est la première fois que manquer à ses devoirs produise quelque chose de plus sublime que ces devoirs mêmes.

XL

Les femmes devraient toujours être habillées plus ou moins. Quand elles déposent les habits du combat, elles cessent d’être ces fair warriors dont parle Shakespeare.

XLI

En donnant le nom à un enfant, il faut penser à la femme qui, un jour, aura à le prononcer.

XLII

Les vieilles femmes avaient autrefois pour dernière ressource la dévotion ; maintenant, elles ont la littérature. Je ne sais pas, n’étant point femme, ce qu’elles y ont gagné. Mais nous… Nous trouvions encore dans une dévote qui l’était depuis peu une résistance qui affriandait. Il y avait là du ragoût… Mais les femmes littéraires n’ont aucune raison pour nous affriander d’une résistance, et dans le tête-à-tête elles nous lisent leurs livres ou elles les font.

XLIII

La meilleure à aimer, pour ceux qui aiment l’intensité, c’est une vieille femme passionnée.

— « Pourquoi pas une jeune ? » — dit-elle en se regardant.

— « Parce qu’une jeune ne l’est jamais. »

— « Bah ! » fit-elle encore. Elle n’avait pas compris. Son bah ! était de l’étonnement incrédule, un sentiment très familier aux femmes dans la conversation.

— « Oui ! — fis-je, obligé d’être pédant parce qu’elle était réellement trop légère. — Il n’y a que le désespoir de n’être plus aimées qui donne aux femmes la force d’aimer. »

XLIV

Je sais pourquoi la marquise Olga est dévote.

Elle a mis le Saint-Sacrement sur la couverture de son lit — pour que son mari n’y couche pas.

XLV

Les femmes sont faites pour être victimes. Elles sont marquées pour l’être. Savez-vous pourquoi ?… Le manque de fierté. Qui n’épousent-elles pas, même sans fortune ? Nous n’avons jamais des femmes comme elles ont des maris, elles !

Et les plus charmantes !!

Dès qu’il y a un monstre quelque part, il y a une jolie femme qui lui a donné sa main. Elle le trompe (parbleu !), mais par cela même elle est deux fois à sa merci, et elle l’a deux fois mérité.

XLVI

La première lettre d’amour : La première tache dont toutes les hermines doivent mourir.

XLVII

Les hommes sont des jugeurs de femmes. Il faut les entendre après déjeuner. Seulement, quelles erreurs ! Ils font les mœurs de ces innocentes ou de ces poltronnes avec l’audace et l’impureté de leurs esprits.

XLVIII

La plupart des moralistes me font l’effet de gens maltraités par les femmes, — ou qui, du moins, ne leur plaisent plus.

XLIX

Avec les femmes, c’est comme avec les nations : il faut être heureux et impitoyable.

L

C’est quelquefois une manière bien délicate de faire la cour aux femmes que d’avoir des torts avec elles. Cela leur crée la supériorité de pardonner.

LI

On voit dans le cœur des femmes par les trous qu’on fait à leur amour-propre.

LII

La séduction suprême n’est pas d’exprimer des sentiments, c’est de les faire soupçonner.

LIII

Parler de fierté à une femme, est-ce exalter la sienne ?

Je l’ai cru longtemps ; je ne le crois plus.

LIV

Après la blessure, ce que les femmes font le mieux, c’est de la charpie.

LV

Quand la passion est intense, s’aperçoit-on que la femme ait un esprit ? Rivarol aimait les femmes bêtes. C’est l’histoire de l’intelligence dans l’amour.

LVI

C’est si rare maintenant quand une femme a du tempérament, que quand une femme en a on dit que c’est de l’hystérie.

LVII

Être mal mis, c’est une impertinence pour les femmes.

LVIII

La question de Pascal : « Qu’est-ce qu’elles aiment en nous ? » m’est souvent revenue.

Toi tu es aimé pour ta beauté, que tu n’as pas faite.

Moi pour mon talent, que j’ai, au moins, développé.

Rêveurs !…

Toi tu es aimé parce qu’on dit que tu es beau.

Et toi parce qu’on te dit spirituel, — ou parce que tu passes pour un grand artiste.

Ah ! c’est toujours la solution de Pascal : « Si le nez de Cléopâtre avait été mal fait, aurait-elle été aimée ? » Et moi, je réponds bravement, sans avoir besoin de Pascal :

Oui, — puisque c’était le nez de Cléopâtre !

Seulement, le nez de Cléopâtre est partout…

LIX

Être belle et aimée, ce n’est être que femme. Être laide et savoir se faire aimer, c’est être Princesse.

(Traité de la Princesse. Inédit.)

LX

Toutes les grandes femmes, — grandes, dans leur genre, comme Charlemagne, Alexandre, César, Napoléon dans le leur, — les Ninons, les duchesses de Valentinois, les marquises de Pescaire, ont été vieilles ce qu’elles étaient jeunes ; et les contemporains, dupes de leur génie, nous ont dit, avec l’air de la bonne foi la plus comique, qu’elles étaient toujours aussi belles, qu’elles avaient mis le talon de leur brodequin sur ce monstre affreux de la vieillesse. Que ne disent-ils point ?… Lisez-les. — Mais non ! ne les lisez pas ! Les lois de la nature humaine ne changent point ainsi. Rien n’est inexorable comme les cheveux blancs et les rides… Seulement, c’est une loi aussi de la nature humaine que l’âme, l’esprit, la volonté, la flamme intérieure, aient leur magie, et transfigurent de périssables matérialités.

(Traité de la Princesse. Inédit.)

LXI

Une pensée à propos d’une séduction : « Cela est pitoyable dans l’intelligence, mais c’est dans la nature. »

On ne peut déshonorer la nature mieux que cela.

LXII

Ne demandez aux femmes que ce qu’elles peuvent donner. Elles ne sont sublimes que quand elles se trompent.

LXIII

Si elles savaient combien, parfois, on les évite, parce qu’on les aime !