Pendant l’orage/La confiance

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 59-60).

LA CONFIANCE



13 décembre 1914.


Il y a longtemps que je l’ai dit pour la première fois : la vie est un acte de confiance. Il faut, pour vivre, avoir confiance dans sa santé, dans sa fortune, dans son travail, dans sa femme, dans ses amis. Quand une de ces sources de confiance est atteinte, la vie est endommagée ; quand toutes ont fléchi, la vie est impossible. Confiance n’est pas certitude. Il n’y a pas de certitude pour les activités qui se développent dans l’avenir, il y en a à peine pour les actes présents, mais la confiance est précisément le sentiment qui joue le rôle que la certitude assume dans la région intellectuelle. Ce n’est qu’un sentiment. Comme tel, il est purement subjectif, attaché à un individu ou à un groupe. Il est conservateur de cet être, ou de ce groupe d’êtres. Il n’est pas créateur, quoique sans lui la création soit impossible. Il ne détermine pas les résultats, mais sans lui les résultats ne pourraient être déterminés. C’est un des chapitres les plus curieux de la psychologie mêlée de l’intelligence et des sentiments et celui où on démontre le mieux la dépendance de ces deux activités. Un peuple qui n’aurait pas confiance en lui-même ne pourrait vaincre. Il n’est donc pas inutile de constater la confiance des combattants, puisqu’elle montre qu’ils sont dans les seules conditions où l’on peut, comme le répète chaque jour le général Bonnal dans le titre de ses articles, atteindre au succès final. Du point de vue de la raison toute nue, la confiance n’aurait pas grande valeur, puisqu’on peut toujours la ranger dans le chapitre des illusions, mais l’homme ne se sert jamais de sa raison pure qui n’est qu’une conception philosophique, et même le langage a devancé l’objection des abstracteurs en unissant les deux termes dans une locution confiance raisonnée. Derrière ce bouclier, la confiance est peut-être une force invincible.