Peintures (Segalen)/Peintures dynastiques/Portrait ancestral
PORTRAIT ANCESTRAL
Une ancienne et noble Dame, assise juste face à nous, les deux longs yeux égaux un peu renfoncés par les ans ; le front lisse, la bouche écrite d’un seul trait ; le menton petit et rond, les pommettes montueuses ; les cheveux noir-de-cheveux sous la coiffure festonnée.
Et face à nous, — comme le visage, la coulée de la robe, les larges manches retombantes — est le trône adossé d’un grand rond d’or qui fait une lune bien pleine.
C’est un portrait ancestral. Le peintre ici, par ordre souverain, a troué les deux yeux de ce puits sans fond des prunelles, — et vous pourriez, par ce puits, atteindre l’âme du portrait. Mais quel besoin ? — Cette symétrie, ces concordances : doigts entrelacés dans une sérénité longue ; genoux stables et surtout cette face vue d’en face, équilibrée comme un monument ; ces couleurs plates sur la paroi impassible, et le parfait cercle écrivant son contour éternel…
N’est-ce pas la présence même de la Déesse à la Compassion réfléchie ? Dans ce front rien d’autre n’habite ? Ces narines sont emplies de parfums. Cette bouche n’enfanta que de tendres paroles. Et ces pieds ont mené le chemin du milieu.
C’est, à son rang dynastique, l’image de la Douairière Impératrice Wou, de T’ANG. Et le Peintre a pris soin de formuler en lettres élégantes les devises, les attributs, les noms honorifiques et les titres que son mérite lui sollicita et qu’elle daigna recevoir : « Haute Gardienne du Tchakra » (ce disque d’or propagateur de la Loi.) « Lumière éclairant le néant », (symbole inédit comme le caractère « Soleil et Lune assemblés sur du vide » qui le représente ici.)
Enfin la prophétie à Maïtreya qu’elle incarnait dans son corps de femme par un prodige spécial : « Avant de devenir Bouddha, tu renaîtras encore dans un corps de femme »… Et ces trois mots doux : « Sainte Mère surnaturelle… »
Et vous vous étonnez de voir ici une telle image de majesté céleste… Un tel miroir de très pure bonté…
Mais le dénombrement de ses vertus ne s’arrête pas de sitôt. Ce n’est point là tout ce qu’on en peut dire : les Annales commentent ainsi :
« Concubine du père, bonzesse défroquée, épouse Impératrice du fils successeur, meurtrière de sa fille au berceau pour en accuser sa rivale ; meurtrière de son fils trop intelligent ; meurtrière de l’autre Impératrice qu’elle fit écourter des pieds et des bras et confire dans une jarre pleine de vin ; amante impudique d’un moine chef de deux cents jeunes moines ; tueuse de son époux Empereur dont la tête gonfla par maléfice ; sacrilège en sacrifiant fémininement au Ciel par l’investiture de la montagne, — elle indigna la bonne terre de l’Empire qui se vomit en pustules de boue. Même elle eut les honneurs impossibles d’une éclipse de Soleil mâle ! Elle avait perverti jusqu’aux principes Yin et Yang, tréfonds de l’Univers… »
Nous nous inclinons devant vous « Sainte Mère surnaturelle ».