Peintures (Segalen)/Peintures dynastiques/Portrait ancestral

Georges Crès et Cie (p. 182-185).


PORTRAIT ANCESTRAL

Une ancienne et noble Dame, assise juste face à nous, les deux longs yeux égaux un peu renfoncés par les ans ; le front lisse, la bouche écrite d’un seul trait ; le menton petit et rond, les pommettes montueuses ; les cheveux noir-de-cheveux sous la coiffure festonnée.

Et face à nous, — comme le visage, la coulée de la robe, les larges manches retombantes — est le trône adossé d’un grand rond d’or qui fait une lune bien pleine.

C’est un portrait ancestral. Le peintre ici, par ordre souverain, a troué les deux yeux de ce puits sans fond des prunelles, — et vous pourriez, par ce puits, atteindre l’âme du portrait. Mais quel besoin ? — Cette symétrie, ces concordances : doigts entrelacés dans une sérénité longue ; genoux stables et surtout cette face vue d’en face, équilibrée comme un monument ; ces couleurs plates sur la paroi impassible, et le parfait cercle écrivant son contour éternel…

N’est-ce pas la présence même de la Déesse à la Compassion réfléchie ? Dans ce front rien d’autre n’habite ? Ces narines sont emplies de parfums. Cette bouche n’enfanta que de tendres paroles. Et ces pieds ont mené le chemin du milieu.

C’est, à son rang dynastique, l’image de la Douairière Impératrice Wou, de T’ANG. Et le Peintre a pris soin de formuler en lettres élégantes les devises, les attributs, les noms honorifiques et les titres que son mérite lui sollicita et qu’elle daigna recevoir : « Haute Gardienne du Tchakra » (ce disque d’or propagateur de la Loi.) « Lumière éclairant le néant », (symbole inédit comme le caractère « Soleil et Lune assemblés sur du vide » qui le représente ici.)

Enfin la prophétie à Maïtreya qu’elle incarnait dans son corps de femme par un prodige spécial : « Avant de devenir Bouddha, tu renaîtras encore dans un corps de femme »… Et ces trois mots doux : « Sainte Mère surnaturelle… »

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Et vous vous étonnez de voir ici une telle image de majesté céleste… Un tel miroir de très pure bonté…

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Mais le dénombrement de ses vertus ne s’arrête pas de sitôt. Ce n’est point là tout ce qu’on en peut dire : les Annales commentent ainsi :

« Concubine du père, bonzesse défroquée, épouse Impératrice du fils successeur, meurtrière de sa fille au berceau pour en accuser sa rivale ; meurtrière de son fils trop intelligent ; meurtrière de l’autre Impératrice qu’elle fit écourter des pieds et des bras et confire dans une jarre pleine de vin ; amante impudique d’un moine chef de deux cents jeunes moines ; tueuse de son époux Empereur dont la tête gonfla par maléfice ; sacrilège en sacrifiant fémininement au Ciel par l’investiture de la montagne, — elle indigna la bonne terre de l’Empire qui se vomit en pustules de boue. Même elle eut les honneurs impossibles d’une éclipse de Soleil mâle ! Elle avait perverti jusqu’aux principes Yin et Yang, tréfonds de l’Univers… »

Nous nous inclinons devant vous « Sainte Mère surnaturelle ».