Pauvres fleurs (éd. Laurent 1839)/Fleur d’Enfance

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FLEUR D’ENFANCE



L’haleine d’une fleur sauvage,
En passant tout près de mon cœur,
Vient de m’emporter au rivage
Où naguère aussi j’étais fleur.
Comme au fond d’un prisme où tout change,
Où tout se relève à mes yeux,
Je vois un enfant aux yeux d’ange :
C’était mon petit amoureux !

Parfum de sa neuvième année,
Je respire encor ton pouvoir.
Fleur à mon enfance donnée,
Je t’aime comme son miroir.
Nos jours ont séparé leur trame,
Mais tu me rappelles ses yeux ;
J’y regardais flotter mon âme :
C’était mon petit amoureux !

De blonds cheveux en auréole,
Un regard tout voilé d’azur,
Une brève et tendre parole,
Voilà son portrait jeune et pur.

Au seuil de ma pauvre chaumière
Quand il se sauvait de ses jeux,
Que ma petite âme était fière !
C’était mon petit amoureux !

Cette ombre qui joue à ma rive
Et se rapproche au moindre bruit,
Me suit, comme un filet d’eau vive,
À travers mon sentier détruit :
Chaste, elle me laisse autour d’elle
Enlacer un chant douloureux ;
Hélas ! ma seule ombre fidèle,
C’est vous, mon petit amoureux !

Femme, à qui ses lèvres timides
Ont dit ce qu’il semblait penser,
Au temps où nos lèvres humides
Se rencontraient sans se presser ;
Vous qui fûtes son doux Messie,
L’avez-vous rendu bien heureux ?
Du cœur je vous en remercie :
C’était mon petit amoureux !