Paris ou les sciences, les institutions et les mœurs au XIXe siècle/Coup-d’œil sur les ossemens fossiles

II. — Coup-d’œil sur les ossemens fossiles.


La géologie comprend l’étude des terrains qui forment l’écorce du globe et la recherche des débris d’êtres organisés qui y sont enfouis. Tout le monde sait maintenant ce qu’on doit entendre par des fossiles. La substance primitive des plantes et des animaux antédiluviens a été remplacée par celle des roches ou des couches pierreuses sur lesquelles on les retrouve gisans. Cette opération mystérieuse est le moyen simple et ingénieux dont s’est servie la nature, à l’origine, pour éterniser les formes des êtres qu’elle créait et détruisait ; elle a gardé dans ces moulures leur reproduction fidèle, comme on conserve, tous les jours, sur le plâtre les traits chéris et vénérés des grands hommes que la mort vient de ravir.

Les fossiles sont, avec les terrains qui les contiennent, les seuls monumens des premiers âges du monde, mais ils suffisent pour nous révéler déjà un très ancien état de choses qui s’est trouvé fixé en s’abîmant. Parcourir le musée de géologie du Jardin des Plantes, c’est descendre ou remonter le cours des événemens qui ont précédé la naissance de l’homme. Cette collection de minéraux et de fossiles est une genèse. Si la trompette du dernier jour venait à remplir ces salles de sa voix puissante, nous serions effrayés de voir reparaître autour de nous dans l’état de vie ces animaux étranges, oubliés depuis long-temps par la nature, inconnus à la surface actuelle de la terre qu’ils ont délivrée de leur fardeau : eh bien ! ce travail de résurrection en vertu duquel un mélange confus de débris mutilés s’arrange dans un ordre organique, de manière à ce que l’os aille chercher l’os auquel il devait tenir ; ce travail qui fait sortir une seconde fois du néant des êtres éteints, la science va l’accomplir sous nos yeux dans cette galerie.

L’ordre des pièces géologiques exprime plus ou moins le déroulement des faits qui ont construit et peuplé l’écorce de la terre. Voici d’abord des échantillons, sans empreinte d’êtres créés : la vie alors n’existait pas. La disposition de ces couches, privées d’animaux et de végétaux, imite assez bien celle de livres entassés en pile, successivement, les uns sur les autres, à mesure que chaque auteur y aurait consigné les annales de son temps, et placés de telle sorte que le dernier écrit se trouve toujours immédiatement au-dessus de celui qui renferme le récit des événemens de l’époque précédente. Il s’en faut néanmoins de beaucoup que cet ordre admirable ne soit jamais troublé. Des événemens de nature violente ont déchiré les pages de ces livres et les ont déplacées sur presque toute la surface de la terre, au point d’introduire souvent dans l’esprit des géologues le doute et la confusion. Toutefois les grandes divisions demeurent assez nettement indiquées. Un tel échelonnement des faits doit suffire à notre curiosité présente. Si tous les pas du temps ne marquent point très clairement sur ces roches antiques, sur ces terrains de formation minérale, nous pouvons du moins en suivre déjà quelques traces, et c’est beaucoup dans des âges si éloignés de nous.

La science discute encore sur les pièces qui se montrent dans cette galerie, pour savoir si le règne animal a commencé en même temps que le règne végétal. Nous croyons qu’il faut s’élever ici au-dessus de la matérialité des faits. La partie de l’écorce de la terre qui a été fouillée est relativement trop restreinte, pour qu’on puisse établir sur les fossiles découverts jusqu’ici une conclusion solide. La ligne qui sépara l’avènement des deux règnes de la nature, fût-elle à jamais effacée, devrait encore être admise moralement. Il faut étudier la marche de la création dans les lois générales qu’elle développe à notre intelligence, mieux encore que dans des monumens douteux, dont la date et les causes de conservation ou de ruine sont souvent impénétrables. Nous devons reconnaître que le génie humain a aussi ses révélations, et croire avec Moïse, le plus ancien des géologues, que l’aurore du règne végétal a devancé le jour des premiers animaux créés.

Les premiers animaux qui paraissent dans les terrains ardoisiers ne montrent encore qu’une organisation très simple. Ils n’en ont pas moins laissé leur trace sur le fond évanoui de leur époque ; beaucoup d’écrivains qui travaillent à faire de même pour l’avenir n’y réussiront peut-être pas aussi bien que ces mollusques et ces crustacés. C’est au reste une belle leçon que nous donne la nature, en faveur de l’inaltérabilité du style, dans ces incrustations d’êtres, dont la forme a dominé la matière, au point d’exister plusieurs milliers de siècles après elle.

Un savant estimable, M. Cordier, chargé de l’enseignement saignement de la géologie au Muséum d’histoire naturelle, préside à la conservation et à l’accroissement de ces fossiles.