Paris-Éros. Deuxième série, Les métalliques/26

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. Ill.-319).
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— Le Q (1) ......................... !!!
— Taisez-vous, vieille femme !
(1) La pipelette de la République prononce cu


XXVI


Conclusions. — Les Jésuites rouges. — Le Saint-Office laïque de la IIIe République fonctionne.


À peine paru, Paris-Éros (Première Série : Les Maquerelles inédites, ouvrage de documentation, faisant suite à une série de vingt volumes d’études de mœurs, par Martial d’Estoc) s’est vu l’objet de manœuvres qui rappellent les expédients pratiqués par la Magistrature de la Restauration et de l’Empire pour étrangler les auteurs et les livres qui révélaient leurs tares intimes ; alors qu’unis, en frères, dans la Congrégation de la Foi, les Basiles, les Tartufes et les thuriféraires de ces régimes abominés s’étaient ligués, au cri de : Mort à l’Idée et à l’évolution hautement morale de l’esprit français, insurgé contre les hypocrisies pontifiantes et les turpitudes doctrinales des dessous des manteaux.

Le prétexte des étranges poursuites dirigées contre l’auteur de la 1re Série de Paris-Éros, dont l’exécution à la guillotine sèche de la 9e était fixée au 30 avril 1903, — est le prospectus annoncier du livre, auquel il a emprunté sa première page : un dessin, déjà paru en 1884 en frontispice des Cyniques, symbolisant, en une esthétique brutale mais sévère, — la Prostitution-araignée, embusquée à l’affût de sa proie, les griffes tendues, — et la table des matières… des mots de lexique. En somme, une critique gauloise des mœurs qui engluent les hautes sphères sociales.

Pour défendre ces mœurs, d’une biologie bizarre, leurs prêtresses et leurs souteneurs, le sénateur Bérenger, l’ex-procureur impérial tombé au rôle de pipelette de la République, était tout désigné, et il n’a pas failli à son atavisme policier.

Il faut être édifié sur les voies et moyens de ce calamiteux personnage, qui s’est intronisé Grand Inquisiteur de France, pour juger de sa moralité.

Sous son égide de maquilleur policier, il s’est constitué une ligue grotesque, amalgame d’imbécillités et de réactions cafardes, qui a la prétention de faire marcher la France républicaine dans la voie des inepties scolastiques ancestrales. En réalité, c’est la résurrection du système de délations, d’espionnage, de suspicions, d’investigations et de calomnies, inauguré par la Congrégation de la Foi de la Restauration, que l’ex-procureur impérial tente d’inoculer à la IIIe République, dont il est le Rodin truqueur et le suprême jésuite rouge.

Comme président des trois quarterons de crétins et de cuistres dont se compose sa ligue, le sénateur Bérenger n’est qu’une solennelle ganache ; on le sait dans les sphères officielles. C’est à un titre, autrement canaille, que je révélerai dans mon prochain livre : Les Byzantins, que cet ex-postillon d’Empire fait marcher ministres, préfets et magistrats. Complicités entraînent…

Pour assurer l’effet de sa dénonciation au Parquet, le Garde des Sceaux et le Préfet de Police lui ont servi complaisamment de couverture, et la magistrature debout a marché au pas d’alguazil… Visite domiciliaire, perquisitions, saisie, rien n’a manqué à la manœuvre.

Cela ne suffit pas pour affirmer le zèle du Parquet, et aussi pour le stimuler : on va la faire à la Vidocq.

Lors des premières poursuites contre les libraires, le vieux crocodile du Luxembourg avait pris pour prétexte de la persécution systématique engagée contre eux, que des prospectus licencieux avaient été adressés par la poste à des fils et à des filles de… magistrats (!).

Le coup fut essayé dans mon affaire ; un magistrat vint… inopinément, déclarer au Parquet qu’un de mes prospectus avait été adressé par la poste à son fils.

À l’examen, le truc fut découvert. Quelles mœurs !

J’écrivis une lettre indignée au Garde des Sceaux, protestant contre son immixtion personnelle dans les poursuites et lui révélant le caractère de la dénonciation.

L’effet ne se fit pas attendre ; se couvrant cette fois du Préfet de Police seul, le Rodin d’Empire dénonça un nouveau tirage et une nouvelle distribution du prospectus incriminé.

Cette nouvelle dénonciation reconnue calomnieuse, il ne restait à un magistrat soucieux de sa dignité qu’à clore cette ignoble mystification.

Point. Nouvelle visite domiciliaire, nouvelles pérquisitions, et pour rafistoler cette ineptie judiciaire, un renvoi en correctionnelle sous la spécieuse prévention d’outrages aux bonnes mœurs pour avoir fait distribuer sur la voie publique des prospectus contraires aux bonnes mœurs (sic !).

C’est de l’alchimie judiciaire. Quelle République !

Ce misérable expédient révèle en la magistrature debout une servilité incommensurable et aussi un esprit de défi aux principes du vrai républicanisme et des lois constitutionnelles qui en sont le corollaire, et dont ils se f… tous, d’ailleurs.

C’est plus haut que je m’adresse.

Si la liberté de la presse et la liberté de penser, aussi bien dans leur expression que dans leurs manifestations publiques, sont impudemment livrées au sécateur domestiqué de robins soumis à ce Saint-Office laïque, dont l’ex-procureur impérial Bérenger s’est constitué le Grand Inquisiteur pour la France et l’Étranger, on doit le dire hautement, signifier l’imposture du régime et le traquenard de ses lois de Scapin.

Aberration ! Non, ils savent. Absurde ! Oui, parce qu’arbitraire. Odieux ! parce que canaille.

Mon livre et son prospectus qui en est partie intégrante, outrageurs de bonnes mœurs ! C’est du Bilboquet de Pont-Neuf ou de la Sibylle qui présidait aux élucubrations d’Escobar.

Mon livre, et son annexe, outragent au contraire les plus mauvaises mœurs.

De quelle nature sont donc alors les bonnes mœurs du dénonciateur Bérenger, des ex-natures de la Magistrature, du Garde des Sceaux et du Préfet de Police ? Étrange ! Sabuleux en diable !

Mœurs officielles, sans doute ? On comprend que mon livre outrage ces mœurs-là !

Église nouvelle : synode et concile, théologiens à la coule ! Mais le puffisme des mots et des réactions rentrées ne justifie pas le rôle de docteurs moralistes qu’ils s’attribuent.

Eux des moralistes, c’est un comble ! Je n’aurais qu’à ouvrir la main pour révéler le fond de leur âme.

Quel est, en fin de compte, ce filandreux personnage, auquel les lâchetés amoncelées, les complicités solidaires ont permis une action aussi néfaste que basse sur les destinées de la République ?

J’ai interrogé les républicains, les vrais, et tous m’ont répondu, que lorsque, comme magistrat, on a brigué les faveurs de l’Empire, c’est d’un cynisme renversant d’oser encore parler de pudeur à la France.

Je me suis tourné du côté des conservateurs, et tous encore ont été unanimes pour m’exprimer le dégoût que leur inspirait la trahison de ce traban impérial, reniant, au premier vent de sa chute, le maître qu’il avait bassement servi, adulé en larbin de prétoire, car l’Empire ne choisissait pas précisément ses avocats généraux parmi ses contempteurs.

Ce qu’il est ? Casserole, serait peut-être dur. Mais, assurément, la pipelette de la République.

Taisez-vous, vieille femme !

Quelle fatale influence entraîne donc les prébendiers du régime à faire haïr et mépriser une république que les penseurs ont rêvée si belle, si grande, si noble à son aurore ? C’est une trahison de faire exécuter par la magistrature, déjà trop enlisée dans les mœurs byzantines du régime, l’ignoble besogne des tribunaux de proscription et d’étranglement de la Restauration de l’Empire. Passe pour un Bérenger, l’ex-pourvoyeur impérial, mais qu’on le laisse à sa basse-cour, dans sa vidange et son fumier.

Voici ce que je disais, il y a dix ans, dans mes aperçus historiques : Partout la terreur, celle des froussards courbés chinoisement devant une ochlocratie dorée dont le j’m’enfoutisme détonne. Partout une magistrature couchée, le droit mort, la charte en lambeaux, les derniers vestiges de la liberté emportés par la proscription, une marée gluante de viveurs au pinacle, les coupe-jarrets de prétoire étranglant, entre deux portes, Bory de Saint-Vincent dans son Livre du Seigneur, Hugues d’Hancarville dans ses Monuments du culte des dames romaines, Louis Courier dans ses Discours, Béranger, l’autre, le Français, dans la chanson, Parny dans ses Odes, Villaret de Grécourt dans son Maranzakissiana, Louvert de Couvray dans son Chevalier de Faublas, Collin de Plancy dans son Dictionnaire infernal, Benjamin Constant dans sa Lettre à M. Carrère, Piron, Collé, Gallet, Debraux dans la chanson, Chanderlos de Laclos dans ses Liaisons dangereuses, Diderot dans la Religieuse et Jacques le Fataliste, Mirabeau dans l’Erotika Biblion, Dulaure dans ses Divinités Génératrices, Chénier dans son Ode à Voltaire.

Qu’y a-t-il de changé ?

Tous ces chefs-d’œuvre de l’esprit et de science sont taxés d’outrages aux bonnes mœurs par des larbins de prétoire, qui les auraient aussi bien condamnés pour outrages à la lune, si le texte eût figuré à leur répertoire.

Puis, c’est l’Empire, c’est encore Piron, Parny, Collé, Diderot, Mirabeau qu’on hache ; puis Eugène Süe, Proudhon, Poupart-Davyl, Rogeard, Baudelaire, Naquet, etc., etc…, et le justiciard Bérenger portait la livrée des étrangleurs.

Certes, il est honorable, pour un écrivain, d’entrer dans la phalange glorieuse des victimes des Thugs judiciaires, il n’en est pas moins ridicule de se laisser coller par des « attendus » de corps de garde, comme un toulourou par son cabot, pour avoir… ne pas avoir… et avoir encore après. Bonnes mœurs, c’est du galimatias de petits frères, de la plaisanterie de curé. Je parie le plus beau lapin de France, que pas un juge ne sait ce que cette chinoiserie signifie exactement. Il y a des mauvaises mœurs, c’est connu, puis des mœurs. Mais de bonnes mœurs, c’est de la jonglerie de casuiste.

Le motif invoqué n’est qu’un expédient pour atteindre le livre qui fait rugir pas mal de gens aux mœurs apocalyptiques, et je n’irai pas me risquer dans le maquis de la loi où les escopettes embusquées n’attendent que ma présence pour partir.

Mes juges sont à la Cour d’assises et pas ailleurs.

Je m’étais cantonné dans l’oubli. On est venu souffleter le vieux lion dans son antre : malgré ses soixante ans, il a encore des griffes pour se défendre.

Il y a un passé, ou plutôt des passés, nous en parlerons. La vérité et la justice sont en marche pour beaucoup qui ne s’y attendent pas.

Ce m’était un devoir de protester contre la voie de l’arbitraire, en matière de presse, dans laquelle le Parquet de la Seine s’est laissé entraîner. M’appuyant sur le droit constitutionnel, garant de la liberté de penser et de la liberté de la presse, libertés essentielles du droit républicain, aussi bien que la liberté de conscience et la liberté d’association, hors lesquelles le régime républicain n’est qu’une ignoble mystification, une jonglerie de mots, j’ai décliné la compétence du tribunal correctionnel.

Les juges de la 9e chambre se sont déclarés compétents. J’ai interjeté appel.

Les thaumaturges du Code qui font des miracles d’incohérence avec les lois, la plupart faites par des savetiers du droit, et qui se targuent de personnifier la justice au même titre que Bilboquet personnifie le Pape, iront de leur compétence.

La Cour de cassation jugera ensuite, plutôt mal que bien, c’est son affaire.

Mais toutes les lois et arrêts ne peuvent prévaloir contre le droit constitutionnel.

En effet :

La loi du 29 juillet 1881 sur la presse est inconstitutionnelle au premier chef. Elle n’est qu’une subtilité d’avortons politiques pour soustraire à la juridiction de la Cour d’assises, seule compétente en droit constitutionnel, pour juger les délits et les crimes commis par la voie de la presse : donc nulle et sans autorité, car le Congrès a seul autorité légale pour reviser ou modifier la Constitution.

En créant des exceptions et des séries, les Escobars politiques et leurs féaux de la magistrature — la fameuse magistrature de l’épuration — se sont ouvert une voie — la grande voie de l’arbitraire — pour traquer et étrangler les écrivains indépendants qui se refusent à accrocher leur conscience au grillage de la caisse des Fonds Secrets — place Beauvau.

Rien ne les arrêtera, je le sais, jusqu’à leur débâcle que je sais, mieux encore, prochaine.

Ils se vengeront, sur l’auteur de Paris-Éros, de l’auteur de : La Franc-Maçonnerie, sa politique et son œuvre.

Soit ! la riposte ne se fera pas longtemps attendre ; elle sera cinglante.

Ce que la République actuelle personnifie le mieux, c’est l’Empire, tous les empires, dans ce qu’ils ont de plus exécrable.

Je suis républicain, républicain dans l’esprit de la liberté indivisible, mais la dupe des jeanfoutres blocards, jamais !

Martial d’Estoc.