Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle/Introduction

INTRODUCTION


I

Dans ma vie de voyageur, j’ai vu bien des capitales, celles qui naissent, celles qui grandissent, celles qui sont au sommet de leur destinée, celles qui meurent, celles qui sont mortes, mais je n’ai vu aucune ville produire une impression aussi énorme que Paris et donner plus nettement l’idée d’un peuple infatigable, nerveux, vivant avec une égale activité sous la lumière du soleil, sous la clarté du gaz, haletant pour ses plaisirs, pour ses affaires, et doué du mouvement perpétuel. Par une journée de printemps, lorsque l’on s’arrête sur le terre-plein du pont Neuf et que l’on regarde autour de soi, on demeure émerveillé de la grandeur vraiment extraordinaire du spectacle qui frappe les regards. Le fleuve, semblable à un immense Y, enjambé par des ponts nombreux, sillonné de barques rapides, portant les lavoirs, les bains, les dragues en action, remonté par des bateaux à vapeur qui soulèvent la chaîne du touage, descend lentement et pousse ses eaux vertes contre les grands quais où fourmille la foule active. Tous les monuments essentiels de Paris paraissent avoir été groupés là intentionnellement comme pour affirmer, au premier coup d’œil, la splendeur de la vieille cité que traverse la Seine. Il suffit de se tourner aux différents points de l’horizon pour les voir et reconnaître en eux les témoins de notre histoire communale, qui si souvent a été l’histoire de la France même. Tout au fond, Notre-Dame, qui consacre notre berceau ; à ses côtés, l’Hôtel-Dieu, qu’on est bien lent à terminer ; plus près le Palais de Justice et la Conciergerie, qui, avec la Préfecture de police, forment une redoutable trinité. Sur la rive droite, la grande citadelle des jours populaires, où des rois ont été chercher leur investiture, et dont la possession donne la victoire pendant les heures du combat, l’Hôtel de Ville dresse son campanile rajeuni ; le Louvre abritant autant de soldats que d’objets d’art et relié aux Tuileries[1], représente la forteresse centrale du Paris stratégique actuel ; puis à travers les arbres des Champs-Élysées, une vaste toiture vitrée offrant l’apparence d’une mer tranquille couvre un prétendu Palais de l’Industrie qui n’a jamais pu remplir l’objet auquel on l’avait dérisoirement destiné. Sur la rive gauche, le triste Marché aux Volailles, abandonné aujourd’hui, a remplacé la chapelle du couvent des Grands-Augustins ; l’hôtel Conti, la Tour de Nesle ont disparu devant l’hôtel des Monnaies et devant le collège des Quatre-Nations, qui est devenu le palais de l’Institut, où l’Académie française peut dire encore, comme au temps de Fontanelle :

Quand nous sommes quarante, on se moque de nous ;
Sommes-nous trente-neuf, on est à nos genoux.

Au delà du quai où mourut Voltaire, au delà de cette caserne qui, après avoir été habitée par les mousquetaires de la maison du roi, par les élèves de Mars, par la garde consulaire, par les guides, par les gardes du corps, l’est aujourd’hui par les cent-gardes, un maigre fronton annonce le Corps législatif, où s’agitèrent des questions qui tenaient jadis l’Europe en suspens ; puis l’horizon se ferme par la colline qui devait porter le palais du roi de Rome et qui, vide encore à cette heure, prouve l’inanité des rêveries humaines.

C’est de là, des abords de la statue de Henri IV, qu’il faut regarder Paris ; du haut de Montmartre, de Notre-Dame ou de Saint-Sulpice, on voit mal. La brume de fumée bleuâtre, incessamment poussée par deux cent mille cheminées, plane au-dessus des toits, enveloppe la ville d’une atmosphère indécise, noie les détails, déforme les édifices et produit une inextricable confusion. Là, au contraire, sur le pont Neuf, près de l’ancien îlot de la Gourdaine, le panorama est net et précis, la perspective garde des plans distincts qui conservent dans l’éloignement des proportions exactes ; tout est clair, s’explique et se fait comprendre.

Un jour que j’étais arrêté devant un des bancs demi-circulaires qui ont fort heureusement été substitués aux laides boutiques construites autrefois par Soufflot, et que, pour la millième fois peut-être, je contemplais le grand spectacle déroulé sous mes yeux, voyant passer des trains de bois sur la Seine, écoutant le sourd bourdonnement des omnibus qui faisaient trembler les pavés, apercevant une voiture cellulaire qui entrait à la Conciergerie, regardant le panache de fumée tordu sur les cheminées de la Monnaie, côtoyé par des sergents de ville et par des facteurs, suivant de l’œil les lourds camions qui sortaient des halles, bercé par le murmure monotone d’une capitale en activité, je me suis demandé comment vivait ce peuple, par quels miracles de prévoyance on subvenait à ses besoins, à ses exigences, à ses fantaisies, et combien de serviteurs inconnus s’empressaient autour de lui pour le surveiller, le diriger, l’aider, le secourir, écarter de lui tout danger et le faire vivre sans même qu’il s’en aperçût !

De cette idée est né ce livre.

Je n’ai point la prétention de faire une monographie de Paris, encore moins d’écrire son histoire. D’autres l’ont fait d’une façon magistrale, et je ne pourrais que répéter moins bien qu’eux ce qu’ils ont déjà dit. Paris étant un grand corps, j’ai essayé d’en faire l’anatomie. Toute mon ambition est d’apprendre au Parisien comment il vit et en vertu de quelles lois physiques fonctionnent les organes administratifs dont il se sert à toute minute, sans avoir jamais pensé à étudier les différents rouages d’un si vaste, d’un si ingénieux mécanisme.

Il suffit de jeter une lettre à la poste pour qu’elle parvienne à destination, de descendre sur la place publique pour y trouver un fiacre ou un omnibus prêt à marcher au premier signal, de monter dans un wagon pour être rapidement transporté à un lieu déterminé, d’entrer chez le boulanger pour y acheter du pain. Cela est fort agréable, il faut en convenir ; toute peine nous est épargnée, et comme dans les féeries, chaque objet vient, pour ainsi dire, se ranger sous notre main. Rien n’est plus simple en apparence ; nous acceptons cet état de choses ; mais sans remonter aux causes qui ont produit cet effet, nous estimons qu’il est bon qu’il en soit ainsi, et nous ne nous doutons guère que, pour arriver à un pareil résultat, il a fallu l’expérience de plusieurs siècles, le génie de bien des hommes et un effort sans cesse renouvelé.

Grâce à une suite de règlements et d’ordonnances où les prescriptions les plus minutieuses ont pu trouver place, grâce à l’intelligente activité d’agents toujours sur pied, le problème est résolu : Paris trouve en abondance tout ce qui concourt au développement de sa vie physique et de sa vie intellectuelle. Il peut manger, boire, se promener, se baigner, danser, fumer, aller au spectacle, à l’église, aux bibliothèques, aux musées ; il est enregistré, catalogué, numéroté, surveillé, éclairé, nettoyé, dirigé, soigné, admonesté, arrêté, jugé, emprisonné, enterré ; il n’a qu’à se laisser faire. En revanche, que lui demande-t-on ? De l’argent, le plus qu’on peut. Le Parisien rechigne à payer ; il se fait tirer l’oreille ; il crie bien haut que cela ne peut pas durer longtemps comme ça ; mais il finit par délier les cordons de sa bourse ; car, par-dessus tout, il lui est doux de n’avoir à s’occuper de rien.

Il en est des Parisiens dans Paris comme des Hébreux dans le désert ; ils aiment que la manne leur tombe naturellement du ciel. Ici le ciel, c’est l’autorité. On s’en moque, on l’accuse ; mais à la plus petite mésaventure, c’est vers elle qu’on court : — le pain est mauvais, les eaux de la Seine sont troubles, les voitures marchent mal, les cochers ne sont pas polis, le vin est frelaté, les chiens ne sont pas muselés, les cafés vendent de mauvaise bière ; — autorité, ayez pitié de nous, protégez nous, nous sommes vos enfants. — La litanie est incessante. Dans les années bissextiles, ce miserere dure trois cent soixante-six jours de suite.

Le Parisien est crédule ; en province on dit badaud. Mathieu Marais écrit sérieusement à propos des projets de mariage de Louis XV : « On ne veut pas de l’infante de Portugal, parce que le père est un peu fou. On ne veut point de la princesse de Hesse-Rhinfeld, parce qu’on dit que sa mère accouche alternativement d’une fille et d’un lièvre. »

Le Parisien est désordonné ; il est impressionnable comme une femme et dépasse la mesure. Un vaudevilliste meurt, il veut lui élever une statue ; un tableau de Paul Potter est mis en vente, il l’achète cent dix mille francs ; en 1848, il veut faire de Lamartine un dictateur ; en 1849, il n’en veut plus pour député ; il est brave comme un lion, timide comme un lièvre, très-sage et tout à fait fou ; mais il est immuable en ceci : il veut que l’autorité le débarrasse des soucis de la vie, veille incessamment sur son bien-être, sur ses plaisirs, et ôte de sa route ce qui pourrait blesser ses pieds.

Dans son Nouveau Paris, Mercier raconte qu’une cuiller à soupe ayant été volée à une femme, celle-ci disait en parlant de la Convention : « Mais que font donc ces députés ? Voyez s’ils me feront rendre ma cuiller ! » Cette femme-là était une Parisienne, j’en réponds.


II


Pendant une nuit du mois de mars 1844, à l’une des heures les plus lourdes de notre histoire, le prince Schwarzenberg et le général russe Osten-Sacken gravirent la colline Montmartre, et, arrivés au sommet, s’arrêtèrent à contempler la ville immense étendue à leurs pieds. Le Russe, qui portait au cœur le souvenir de Moscou, s’écria : « Enfin, voilà donc Paris, et nous allons pouvoir le brûler !… pour nous venger de la France et pour la punir. — Gardez-vous-en bien alors, reprit Schwarzenberg en montrant de la main le colosse endormi ; gardez-vous-en bien, car voilà le chancre qui la mangera ! »

La prédiction est grave, mais elle n’est point dépourvue d’apparence raisonnable ; avec son insatiable capitale, qui exige tout, absorbe tout, s’assimile tout, et s’accroît sans cesse, la France a bien l’air d’être hydrocéphale. La tête n’est plus en proportion avec le corps.

C’est en vain qu’on a voulu arrêter ce développement, le fixer, lui ôter la possibilité de se manifester de nouveau : on invente des murailles, des murs d’octroi, des fortifications ; rien n’y fait ; Paris saute par-dessus, se répand dans la campagne, construit des faubourgs, les relie à la ville et s’agrandit. Du reste, tout obstacle l’irrite :

Le mur murant Paris rend Paris murmurant.

Lorsque l’on éleva cette enceinte, que nous avons tous connue et qui disparut après la loi d’annexion du 16 juin 1859, la colère contre Lavoisier, qui était Nivernais, disait : « Il faut le pendre. » A-t-on assez jeté les hauts cris lorsque Louis-Philippe, se souvenant de 1814, eut le bon esprit de faire fortifier notre capitale ? Et cependant quelle mesure plus sage aurait-on prise pour protéger les approches d’une ville dont la perte doit fatalement entraîner celle du pays entier ? Toutes les communes qui jadis avaient pris place hors des murs d’octroi sont englobées aujourd’hui dans le Paris actuel. Il a 33 900 mètres de tour. Une telle ceinture, si ample, embrassant un périmètre de huit lieues et demie, lui suffira-t-elle ? Non pas, et sans être grand prophète, on peut affirmer qu’avant cinquante ans Paris, continuant son mouvement irrésistible vers l’ouest, rejoindra la Seine entre le bois de Boulogne et Saint-Ouen.

Paris est bien forcé de s’agrandir, car c’est tout ce qu’il peut faire que de contenir sa population, qui augmente avec une inconcevable rapidité : 1816, 710 000 habitants ; — 1826, 890 000 ; — 1836, 909 000 ; — 1846, 1 053 000 ; — 1856, 1 174 347[2] ; — 1866, 1 825 274. Dans quarante ans, si la progression continue, Paris aura trois millions d’habitants. Où logeront-ils ? À cette époque, si de telles nécessités se sont imposées, que seront devenus les Champs-Élysées, le Bois de Boulogne et le champ de courses ? Il y aura là des maisons à cinq étages ; Paris et Saint Cloud se donneront la main par-dessus la Seine.

On peut croire qu’à la suite de ces changements physiques, le moral de Paris n’est pas resté ce qu’il était autrefois. L’empereur Julien, qui aimait beaucoup « sa chère ville de Lutèce », dit, en parlant des Parisiens : « Ils n’adorent Vénus que comme présidant au mariage ; ils n’usent des dons de Bacchus que parce que ce dieu est le père de la joie et qu’il contribue avec Vénus à donner de nombreux enfants ; ils fuient les danses lascives, l’obscénité et l’impudence des théâtres. » Si Julien revenait en ce monde, et qu’il se promenât sur nos boulevards au milieu des buveurs d’absinthe et des drôlesses à cheveux jaunes, s’il consultait le tableau des naissances, s’il s’égarait le soir dans certains bals publics et entrait dans quelque théâtre pour voir comment les modernes ont fagoté la belle Hélène, il pourrait éprouver quelque surprise, et dire, à l’instar des héros de Corneille : « J’en demeure stupide ! »

Une si essentielle modification ne s’est pas accomplie en un seul jour, celle-ci date déjà de loin ; Mercier répète souvent : « Paris est la guinguette de l’Europe. » Le mot serait faible aujourd’hui ; pour les étrangers, Paris est à la fois plus et moins qu’une guinguette ; mais l’expression honnête est encore à découvrir, et je n’ai pas le loisir de la chercher. Il me semble que si l’on voulait symboliser les apparences de Paris, on construirait un vaste bâtiment carré dont l’intérieur serait occupé par une caserne ; sur le premier côté, on verrait un théâtre ; sur le second, un débit de tabac ; sur le troisième, un débit d’absinthe ; sur le quatrième, la guinguette de Mercier modifiée par la civilisation et appropriée au goût du jour.

Ce n’est pas seulement l’Europe, c’est le monde entier qui vient s’amuser à Paris, y dépenser son argent et y goûter avec facilité toutes sortes de plaisirs sur lesquels il est bon de fermer les volets. Le boulevard des Italiens est un centre d’attraction auquel on échappe difficilement. On accourt des quatre coins de l’horizon sous prétexte de devoirs à remplir, d’instruction à compléter, de relations à former ; mais il faut avoir un cœur d’airain pour résister à l’atmosphère ambiante, et les plus forts, les mieux forgés succombent. Qu’est-ce donc que les bosquets d’Amathonte, les forêts de Chypre et les jardins d’Armide ? que ferait-on aujourd’hui de cette horticulture mythologique ? on défricherait tout cela au plus vite pour y construire de bonnes maisons avec entresol et sous-sol, car nous avons mieux à offrir.

Qui ne se rappelle l’Exposition universelle de 1867 ? Certes, le grand bazar circulaire élevé au champ de Mars contenait des merveilles, mais pour arriver jusqu’à elles, que fallait-il traverser ? Qu’on se souvienne de ce jardin qui ressemblait à un champ de foire, et de cette première galerie, où, sous prétexte de couleur locale, des filles décolletées, maquillées, impudentes et provocantes, vêtues en Styriennes, en Bavaroises, en Espagnoles, en Hollandaises, versaient à boire aux passants, donnaient la réplique aux plus hardis et défendaient les approches de la science, de l’industrie, du travail, de l’étude, par un cercle de débauches et de luxure. Bien des étrangers envieux qui ont vu cela se sont éloignés en emportant une vague espérance au fond du cœur.

Cette exposition semblait avoir été faite à l’image de Paris, car une fois qu’on avait bravement traversé la zone d’impudicités dont elle était enveloppée de toutes parts, on arrivait aux chefs-d’œuvre qui dénotent une race très-intelligente, rompue à toutes les difficultés du travail, inventive, ambitieuse de bien faire, et, comme les Sicambres, ses ancêtres, ne redoutant rien, sinon que le ciel s’écroule sur sa tête. Paris est ainsi ; traversez la ligne de filles, de joueurs, d’ivrognes, de petits crevés, de saltimbanques et de sots qui, criant plus haut que tout le monde, attirent les regards et s’imaginent qu’ils sont tout le peuple à eux seuls, et vous trouverez un Paris moral qu’on ne soupçonne guère et qu’on ne peut se lasser d’admirer.

Pour l’observateur dédaigneux qui ne regarde qu’aux traits du visage et ne fouille pas les profondeurs de l’âme, Paris est la bête de l’Apocalypse, la Babylone, la Ninive, la Sodome. Soit. Mais cependant, au jour de la vengeance divine, le feu du ciel ne l’atteindra pas, car elle renferme assez de justes pour être épargnée. Croire que les oisifs et les viveurs sont tout Paris, c’est commettre une grosse erreur, c’est prendre la musique du régiment pour le corps d’armée. Ce n’est que la parade ; le spectacle est derrière, instructif et sérieux.

Au delà de cette tourbe bruyante et glapissante, vêtue de couleurs criardes, laissant traîner ses faux cheveux jusqu’à la ceinture, vivant de scandales et pourrissant sur pied, il y a toute une nation recueillie, probe, dévouée, qui travaille, cherche, s’ingénie, invente, dans les ateliers, dans les bibliothèques, dans les laboratoires. C’est là le cœur de Paris qui vibre à toute pensée généreuse, s’émeut à toute découverte, fait effort pour pénétrer toujours plus profondément au sein des choses. C’est cette assemblée d’artistes, de savants, d’artisans, d’écrivains, toujours en communication les uns avec les autres, rapides à comprendre, faciles à émouvoir, qui fait de Paris une ville unique dans l’univers, et qui donne un si grand poids à ses jugements, que nulle réputation n’est consacrée lorsqu’elle ne les a victorieusement subis.

Le fléau de Dieu. Attila, se détourna pour épargner Paris. Une puissance mystérieuse, la jeune âme de la France, incarnée dans la gardeuse de moutons, le contraignit à respecter le berceau d’une cité où devait battre le cœur même du monde. Jusqu’à présent il y a eu trois capitales, au vrai sens du mot caput, qui ont eu sur l’humanité une influence génésiaque : Athènes, où sont éclos les beaux-arts et la philosophie ; Rome, qui a créé la jurisprudence ; Paris, qui a enfanté l’égalité. Ces trois villes, ces trois mères, ont produit toute civilisation. Retirez-les de l’histoire, et celle-ci devient un chaos.

Il y a dans l’île d’Ischia une montagne où l’on entend souffler un courant d’air souterrain ; d’où vient-il ? Nul ne le sait, et la science ignore encore où prend naissance cette tempête anonyme qui bruit sous les vieux rocs entassés du mont Épome. Il en est ainsi de Paris ; il y souffle incessamment une brise inconnue dont il faut tenir compte, car parfois elle dégénère en tempête pendant certaines journées qui gardent désormais une date ineffaçable : 10 août, 29 juillet, 24 février[3].

C’est l’âme même de Paris qui s’exhale à ces heures redoutables, et nulle force ne lui a encore résisté. En somme, que veut Paris ? Un gouvernement assez fort pour être taquiné impunément. L’idéal est étrange et difficile à réaliser. Les gouvernements se fâchent, car en général ils entendent mal la plaisanterie ; Paris s’émeut, s’agite, se lève, est pris de mauvaise humeur, donne un coup d’épaule, casse son joujou, et reste fort penaud d’avoir trop réussi, semblable à un colosse qui, voulant fouetter un enfant, lui casserait les reins.

Sous quelque gouvernement que vive Paris, il reste ce qu’il a été de tout temps, frondeur et profondément égalitaire. C’est un tonneau de vin démocratique ; ceux qui y ont mis les lèvres en restent enivrés à toujours, et chacun veut y boire, car on sent confusément qu’il y a là une force extraordinaire et unique. Cette force morale est plus puissante que toutes les puissances de la terre. En 1815, les alliés sont entrés à Paris, ivres de légitimité, de droit divin, de trône et d’autel. Ils étaient victorieux et se disaient invincibles ; quand ils nous ont quittés, ils étaient vaincus ! l’âme de la grande cité les avait envahis, le souffle mystérieux les avait pénétrés, et ils partirent révolutionnaires, amoureux d’égalité, riant de leurs principicules, demandant le mot d’ordre à ceux mêmes qu’ils avaient battus à Leipzig, en Champagne, à Waterloo. C’est depuis cette époque que les peuples d’Europe sont mal à l’aise, qu’ils parlent vertement à leurs souverains et leur dictent des constitutions.

De tout il en est ainsi ; toute mode, si ridicule qu’elle soit, dés qu’elle est inventée à Paris, est adoptée par le monde entier, et il a suffi que Paris portât perruque pour que l’Europe s’attifât de faux cheveux.

Que pense Paris ? C’est là ce qui inquiète. À l’heure qu’il est, malgré les journaux, les revues, les dépêches télégraphiques et tous les moyens d’information possibles, il y a bien des souverains étrangers qui entretiennent des correspondants secrets à Paris, comme au temps du baron Grimm.


III


L’autorité municipale, celle qui a charge d’âmes et préside à la vie normale de la commune, est représentée par deux administrations distinctes, quoiqu’elles aient entre elles des rapports incessants : la préfecture de la Seine et la préfecture de police. La première administre les biens communaux, perçoit l’octroi, dirige l’assistance publique, les embellissements de la ville, la distribution des eaux et du gaz, les travaux de la voirie, et prend soin des cimetières ; la seconde pourvoit à la sécurité générale de Paris et à la sécurité particulière des habitants, facilite l’approvisionnement des halles et marchés, prend toute mesure nécessaire à la libre circulation sur les voies publiques et sur le fleuve, surveille les mœurs, a la haute main sur les prisons et s’occupe de toute question relative à l’hygiène et à la salubrité.

L’Hôtel de Ville, siège de la préfecture de la Seine[4] est un labyrinthe où tout un monde s’agite dans une inconcevable activité. Lorsque l’on demande au portier où se trouve tel bureau, il répond à peu près ceci : — Troisième galerie, quatrième étage, huitième corridor, salle no 27. Là, vous trouverez des garçons qui vous renseigneront. — Du sommet à la base la ruche bourdonne ; la foule monte et descend les escaliers ; des agents de police veillent à la circulation. De dix heures du matin à quatre heures du soir, l’Hôtel de Ville a la fièvre : c’est le symbole et l’image de Paris.

Au prévôt des marchands, aux maires de Paris a succédé le préfet de la Seine ; c’est aujourd’hui un grand personnage de l’État, qui s’est mis en tête de reconstruire la capitale de la France. Depuis une quinzaine d’années, il a jeté la moitié de la ville par terre et l’a rebâtie. Grande cause d’exaspération pour les Parisiens, qui étouffaient dans leurs ruelles infectes, et auxquels on a donné — à bon prix, il est vrai — de l’air et du soleil. Pour mettre beaucoup de salubrité et quelque stratégie dans une ville aussi grande que Paris, les ressources normales de la commune ne suffisaient pas ; les recettes ordinaires du budget de 1868 ont été de 143 131 124 fr. 84 c. ; ce n’est pas avec cela qu’on remanie de fond en comble une cité colossale dont la population fixe est de 1 825 274 habitants. Alors on a fait des emprunts, et la ville est fort endettée. De là redoublement de clameurs. Les opérations ont-elles ou n’ont-elles pas été régulières ? Je ne suis ni économiste ni financier, et, comme le père de Lucinde, je puis dire : « Je ne me connais pas à ces choses. » Mais dans son excellent livre sur l’Administration de la commune de Paris[5] M. Jules Le Berquier dit : « La transformation d’une ville doit-elle être la dette d’une seule génération, d’une seule époque ? » Poser la question, c’est la résoudre, et il est juste que nos enfants payent une partie des embellissements dont ils jouiront en repos et dont seuls nous aurons supporté les ennuis.

Je voudrais qu’un coup de baguette magique pût remettre tout à coup Paris dans l’état où nous l’avons connu il y a vingt ans, à l’heure de la révolution de Février. Ce serait un cri d’horreur, et nul ne pourrait comprendre qu’un peuple aussi vaniteux que les Parisiens ait pu vivre dans de pareils cloaques.

Il faudrait revoir le quartier Saint-Marceau, horrible amoncellement de passages fangeux, les environs de la place Maubert, la place Cambrai, asile empesté des chiffonniers, la rue de la Mortellerie, d’où sortit le choléra de 1832, et ce chapelet de ruelles nouées autour de la Butte des Moulins, qu’on va enfin déblayer, et la rue Basse-du-Rempart, qui servait de dépôt aux immondices de tous les passants attardés, et la rue de la Planche-Mibray, qu’on franchissait d’un pas, et la rue de la Vieille-Lanterne, de sinistre mémoire, et les coupe-gorge de la Cité, où la prostitution et l’assassinat marchaient de conserve, et le dédale tortueux qui séparait le Palais-Royal des Tuileries, et les abords du Louvre, encombrés de hangars où les chiens savants se battaient avec les singes impudiques, et les Champs-Élysées obscurs, boueux, hantés par des êtres ambigus qu’on pouvait prendre pour des revenants de Gomorrhe, et les montagnes du boulevard, que les chevaux gravissaient au pas, et la Petite Pologne, pleine de terrains vagues peu rassurants, et les dangereux abords du Canal, et le bois de Boulogne aride, et le bois de Vincennes desséché, et les égouts engorgés, et les voiries écœurantes de Montfaucon, et les baraques déchiquetées des marchés publics, et les Halles, qui ressemblaient à un charnier, et le Chemin de ronde, où l’on avait de la boue jusqu’au jarret, et les ruisseaux bordés de masures lépreuses qui se tordaient aux flancs de la montagne Sainte-Geneviève. Qui, se souvenant de ces misères, ose les regretter encore ?

La transformation de Paris était devenue indispensable ; cette mesure devait nécessairement concorder avec l’établissement des chemins de fer qui versent chaque jour dans les gares urbaines des milliers de voyageurs. Pour préparer et entreprendre une rénovation si radicale, il est permis de penser qu’une sorte de dictature n’a point été inutile. Nous en souffrons, nous les contemporains et les témoins intéressés d’un si profond bouleversement ; nous sommes dérangés dans nos habitudes, nous avons dans les yeux la poussière des démolitions, nous nous promenons mélancoliquement à travers la ville, chassés par l’expropriation, cherchant un gîte où nous ne restons que le temps voulu pour en être expulsés de nouveau ; cela est irritant, j’en conviens, et j’en ai parfois pesté tout aussi bien qu’un autre. Mais lorsqu’on voit la ville magnifique qui s’élève à la place de l’ancienne, comment garder rancune et ne pas accorder de bonne grâce ce que les Anglais appellent un bill d’indemnité ?

Le préfet de la Seine est devenu le bouc émissaire des péchés d’Israël ; tout ce qu’on dit aujourd’hui contre lui, je l’ai lu déjà dans les écrivains du siècle dernier, qui blâmaient les embellissements entrepris sous Louis XIV. C’est la mode, et il faut un certain courage pour n’y point obéir. Le préfet est de taille à se défendre, et je ne m’essayerai pas à une si lourde tâche. On lui reproche d’aller trop vite ; je ne veux point faire de paradoxes, mais je lui reprocherai diamétralement le contraire ; je trouve qu’il va trop lentement.

Lorsque je parcours certains quartiers, lorsque je traverse la rue de Nevers, la rue des Filles-Dieu, la rue Pirouelle, la rue de la Grande-Truanderie, quand je visite l’hôtel des Postes, où l’on n’oserait placer un refuge de lépreux, quand je vois l’Administration des lignes télégraphiques encombrée de la cave au grenier par des employés qui n’ont pas assez d’espace pour manœuvrer leur appareil, lorsque je me heurte la tête au plafond des baignoires de la Comédie-Française, lorsque je pénètre dans l’Entrepôt général des vins et que j’y trouve les rues forcément barricadées par les pièces gerbées les unes sur les autres, lorsque je constate que les cours des collèges sont des préaux sans verdure et sans soleil, quand je reconnais que les Halles, déjà insuffisantes, sont réduites à déborder dans les rues voisines, quand je m’aperçois que le ridicule temple grec où s’agite la Bourse est manifestement trop étroit pour la foule qui s’y entasse, lorsque je suis obligé de faire en voiture le tour du palais et du jardin des Tuileries pour aller de la rue de la Paix à la rue Bellechasse, lorsque je suis contraint, sous peine d’être écrasé, de m’arrêter et d’attendre un quart d’heure avant de pouvoir traverser le boulevard Montmartre, quand le souffle empesté des fosses communes chasse la maladie vers nous, malgré les ordonnances et les lois qui si sagement excluent les cimetières de l’enceinte des villes, je me dis qu’il reste bien des choses à faire, bien des voies nouvelles à percer, bien des établissements à construire, bien des améliorations à apporter à l’état matériel de Paris, et que ce serait un grand bienfait pour la capitale de la France, si on l’avait enfin délivrée de tous ces vestiges du passé qui l’embarrassent encore et lui ôtent une partie de la splendeur qu’elle est en droit de réclamer.

Au siècle dernier, on eût chansonné le préfet de la Seine : « Tout finit par des chansons, » dit le vaudeville du Mariage de Figaro ; mais depuis qu’on a chanté le Ça ira, on est moins fertile en couplets. On se contente aujourd’hui de fronder, de narguer, de plaisanter ; en attendant, on profite d’un Paris nouveau, large, étincelant, salubre, et l’on fait bien.

J’ai pu voir, j’ai pu étudier le plan du Paris futur, du Paris rêvé, du Paris tel qu’il serait si les travaux entrepris et projetés étaient menés à bonne fin : j’en suis resté ébloui. Ce serait vraiment alors la première ville de l’univers, et bien mieux encore que l’ancienne Rome, la ville par excellence : Urbs.

Verrons-nous cela ? Je ne sais ; mais il est à souhaiter que ceux qui nous suivront puissent le voir.

IV

L’œuvre extérieure de la préfecture de police est plus humble, elle n’éclate pas aux yeux avec tant de fracas, mais elle n’en a pas moins une importance primordiale. Autant la préfecture de la Seine s’étale avec orgueil dans son magnifique palais récemment rajeuni et complété, autant la préfecture de police est pauvrement logée dans une série de masures prises sur le quai des Orfévres, place Dauphine, rue de Harlay, et qu’on a arbitrairement réunies par des escaliers biscornus, des couloirs en bois, des galeries en forme de casse-cou et des corridors obscurs où le gaz brille en plein midi. On élève actuellement une vaste construction destinée à remplacer les maisons lézardées ; on fera bien de se hâter, car si l’on tarde encore un peu, les vieilles murailles branlantes s’effondreront sur la tête des employés.

La première fois que, guidé par les nécessités de ce travail, j’ai mis le pied à la Préfecture de police, ce n’a pas été sans une certaine hésitation. Je suis trop bon Parisien pour n’avoir pas toujours médit avec soin de l’autorité et pour n’être pas enclin à bien des préjugés. J’étais effrayé quelque peu, et comme mes chers compatriotes, je croyais volontiers à mes propres fantômes. La préfecture me semblait une fort redoutable personne : œil qui guette, oreille qui écoute, main qui saisit, ombre et silence. Je fus promptement détrompé.

Je ne me suis pas avisé, on peut le croire, de parler politique, de demander comment se portaient les complots, de m’enquérir des sociétés secrètes et de m’informer si les nouvelles de Cayenne étaient satisfaisantes. Tout gouvernement, jusqu’à présent du moins, et quel que soit son drapeau, a cru devoir user d’une force occulte qui est, pour ainsi dire, la réglementation de l’arbitraire appliqué au salut d’un état de choses quelconque. Chacun l’entend à sa façon : « J’ai fait de l’ordre avec le désordre, » disait Caussidière. Les rouages mis en mouvement sont sévèrement cachés, et comme ils ne touchent en rien aux fonctions municipales de la préfecture de police, qu’ils en sont absolument indépendants, qu’ils lui sont extérieurs et même étrangers, ils restent un secret entre l’autorité directe et des agents inconnus.

Une institution de cette nature est-elle bien utile ? a-t-elle jamais mis obstacle à une révolution ? a-t-elle paralysé une émeute ? Ce qui prévient les troubles politiques, ce ne sont pas les investigations mystérieuses, ce sont les bons gouvernements. « Monseigneur, disait d’Argenson à Philippe d’Orléans, il y a des personnes qui vont clabaudant tout haut que le feu roi Louis XIV était un banqueroutier et un voleur ; je vais les faire arrêter et jeter dans un cul de basse-fosse. — Vous n’y entendez rien, répondit le régent ; il faut payer les dettes du défunt, et ces gens-là se tairont. »

Dans les bâtiments surannés de la Préfecture, tout est calme ; rien ne rappelle l’animation excessive de l’Hôtel de Ville. La vieille construction, si bizarrement coupée par les nécessités du service, a un air réservé qui tient à son grand âge, et que ne justifie en rien l’accueil ouvert et cordial qui vous attend. Chose étrange ! dans cette maison, que l’on se figure volontiers pleine de sourdes machinations, chacun semble, comme Gœthe, demander « de la lumière, encore plus de lumière ! » À toute question, on répond par le document même : « Voici les chiffres, voici les rapports, voici l’attaque, voici la riposte, voici les éléments de la vérité, débrouillez-la ; nous, nous faisons pour le mieux, et nous nous lavons les mains du reste. »

J’ai été frappé de tant de franchise ; je ne saurais dire combien j’en suis reconnaissant, et je puis affirmer que là, dans de misérables bureaux brûlants en été, glacials en hiver, j’ai vu l’âme même de Paris. J’ai vu l’esprit qui prévoit, invente, se souvient, pense, réfléchit, travaille, et sans cesse médite pour la grand’ville, pour son bien-être, pour sa santé, pour ses plaisirs. Si chaque jour Paris mange et boit, s’il est voituré à son loisir, s’il n’est pas écrasé dans les rues, noyé dans la Seine, asphyxié dans les salles de spectacle, s’il n’est ni trop volé ni trop assassiné, s’il n’est pas drogué par les marchands de vin et empoisonné par les marchands de comestibles, s’il est secouru en cas de péril, si les fous ne courent pas au hasard, si les enfants abandonnés trouvent des nourrices, si les scandales de famille sont secrètement apaisés et n’éclatent point au soleil, c’est à la préfecture de police qu’on le doit. Sans bruit, sans vaine gloriole, ce travail s’accomplit et détermine chaque jour l’existence de deux millions d’hommes.

Tout ce qui touche aux nécessités, aux commodités de la vie parisienne est surveillé d’une façon spéciale. On fera une enquête sur la grossièreté d’un cocher de fiacre, sur un panier de fruits pourris envoyé aux halles, sur un verre de vin frelaté vendu dans un cabaret, enquête approfondie et contradictoire, comme sur un assassinat ou sur un vol avec escalade. Il faut avoir lu le recueil des ordonnances de police, avoir vu à l’œuvre les agents principaux d’une si vaste machine, pour se rendre compte de cette action invisible, incessante, toujours aux aguets vers le mieux et supérieure à tout ce que peut offrir l’étude des autres pays.

La préfecture de la Seine et la préfecture de police ne suffisent pas à mettre en jeu tous les organes qui sont nécessaires aux manifestations multiples de la vie de Paris. Bien des administrations de première importance relèvent du ministère des finances, comme les Postes, la Monnaie, la Banque, les Tabacs ; du ministère de l’intérieur, comme les Télégraphes, les Instituts des sourds-muets et des jeunes aveugles ; du ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, comme les Chemins de fer : chaque partie de notre organisation si fortement, — trop fortement centralisée, — donne à Paris une impulsion continue et déterminée. On peut donc affirmer qu’en étudiant avec détail l’existence spéciale de Paris, on aura un aperçu très-net et presque complet de l’existence générale de la France.

J’ai évité avec soin tout ce qui pouvait, de prés ou de loin, non pas toucher, mais seulement effleurer la politique. Quelles que soient mes opinions personnelles, elles n’ont point à se manifester sur un tel sujet : j’ai voulu parler des différentes administrations qui régissent la vie de Paris, étudier leurs rouages, détailler leurs fonctions, faire comprendre leur importance, mais rien de plus. Je dois ajouter, pour être absolument sincère, qu’il eût fallu fermer les yeux à l’évidence et agir avec un parti pris coupable pour blâmer ce que j’ai vu. Il ne m’a pas été difficile d’être impartial et de constater avec quelle régularité se meuvent tous les engrenages qui règlent, modèrent et facilitent l’action du grand mécanisme parisien.

Toutes les fois que j’ai pu pénétrer au cœur même de ces diverses institutions, j’ai été saisi d’une admiration qui n’était pas dénuée d’étonnement, car j’ai trouvé chez les employés, depuis le plus humble jusqu’au plus haut, un sentiment du devoir vraiment extraordinaire. Dans cette nombreuse armée administrative si mal rétribuée, si peu récompensée de ses peines, chacun est soldat et combat pour l’honneur du drapeau. On se plaint d’eux ; que de fois je m’en suis plaint moi-même avant de les connaître et d’avoir pu apprécier à quel genre de supplice sans cesse renouvelé sont exposés ceux qui ont des rapports forcés avec le public parisien, public exigeant, puéril, tracassier, questionneur, indiscret, vantard, insupportable ! Je suis revenu de mes opinions premières ; le spectacle de ce que j’ai vu m’a corrigé pour longtemps.

Paris peut reposer en paix ; pendant qu’il s’amuse, qu’il travaille, qu’il dort ou qu’il veille, ses innombrables tuteurs sont à leur poste, préparent sans relâche les éléments de sa vie et mettent tout en œuvre pour que rien ne lui manque, ni le nécessaire, ni le superflu.

Avant de terminer cette introduction et d’entrer en matière, qu’il me soit permis de remercier les hauts fonctionnaires qui ont mis à ma disposition l’inestimable trésor de leurs documents statistiques. Grâce au libéralisme avec lequel ils m’ont autorisé à étudier les administrations qu’ils dirigent, grâce aux renseignements sans nombre qu’ils ne se sont pas lassés de me fournir, grâce à la confiance sans restriction dont ils m’ont honoré, j’ai pu entreprendre ce livre et lui donner le caractère d’irrécusable authenticité qui fait seul le mérite de ce genre de travail.


Décembre 1868.
  1. La Commune a modifié ce tableau : le Palais de Justice, la Conciergerie, la Préfecture de police, l’Hôtel de Ville, une partie du Louvre, les Tuileries sont détruits ou portent encore les blessures que l’incendie leur a faites.
  2. En 1856, l’enceinte des fortifications renfermait 1 523 942 habitants. — Le recensement de 1872 indique 1 851 792 habitants. L’insignifiance de cet accroissement n’est que trop expliquée par les événements de 1870 et de 1871.
  3. On peut aujourd’hui ajouter à ces dates celle du 4 septembre. L’orage qui se déchaîna ce jour-là fut doux et propice aux armées allemandes, dont il facilita singulièrement la tâche.
  4. La préfecture de la Seine est actuellement installée au palais du Luxembourg.
  5. Librairie administrative de Paul Dupont. Paris, 1868.