Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Pantagruel/22

Pantagruel
Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 326-329).

Comment Panurge feist un tour à la dame Parisianne qui ne fut poinct à son adventage

Chapitre XXII.



Or notez que le lendemain estoit la grand feste du corps dieu, à laquelle toutes les femmes se mettent en leur triumphe de habillemens, & pour ce iour ladicte dame s’estoit vestue d’une tresbelle robbe de satin cramoysi, et d’une cotte de veloux blanc bien precieux. Le iour de la vigile Panurge chercha tant d’ung cousté & d’aultre, qu’il trouva une chienne qui estoit en chaleur, laquelle il lya avecques sa ceincture & la mena en sa chambre, & la nourrit tresbien cedit iour & toute la nuyct, & au matin la tua, & en prit ce que sçavent les Geomantiens Gregeoys, et le mist en pieces le plus menu qu’il peut, & les emporta bien cachées, et s’en alla à l’esglise ou la dame debvoit aller pour suyvre la procession, comme c’est de coustume à ladicte feste. Et alors qu’elle entra Panurge luy donna de l’eau beniste bien courtoisement la saluant, & quelque peu de temps apres qu’elle eut dit les menuz suffrages il s’en va ioingdre à elle en son banc, & luy bailla ung Rondeau par escript en la forme que s’ensuyt.

Rondeau.
Pour ceste foys, que à vous dame tres belle
Mon cas disoit, par trop feutes rebelle
De me chasser, sans espoir de retour :
Veu que à vous oncq ne feis austere tour
En dict ny faict, en soubson ny libelle.
Si tant à vous desplaisait ma querelle,
Vous povyez par vous sans maquerelle
Me dire, amy partez d’icy entour
Pour ceste foys.
Tort ne vous foys, si mon cueur vous decelle,
En remonstrant, comme l’ard l’etincelle
De la beaulté que couvre vostre atour :
Car riens ny quiers, sinon qu’en vostre tour
Me faciez dehait la combrecelle,
Pour ceste foys.

Et ainsi qu’elle ouvroit le papier pour veoir que c’estoit, Panurge promptement sema la drogue qu’il avoit sur elle en divers lieux et mesmement au repliz de ses manches et de la robbe, & puis luy dist. Ma dame, les pouvres amans ne sont pas tousiours à leur ayse. Quant est de moy iespere que les males nuycts, les travaulx & ennuytz, auxquelz me tient l’amour de vous, me seront en deduction d’autant des peines de purgatoire. À tout le moins priez dieu qu’il me doint mon mal en patience.

Panurge n’eut pas achevé ce mot, que tous les chiens qui estoient en l’esglise ne s’en vinssent à ceste dame pour l’odeur des drogues qu’il avoit espandues sur elle, petitz & grans, gros & menuz tous y venoient tirant le membre & la sentant & pissant partout sur elle : c’estoit la plus grande villanie du monde. Panurge les chassa quelque peu, puis d’elle print congé & se retira en quelque chapelle pour veoir le deduyt : car ces villains chiens compissoient tout ses habillemens, tant que vn grand leurier qui luy pissa sur la teste, les aultres aux manches, les aultres à la croppe : & les petitz culletoient ses patins. En sorte que toutes les femmes de là autour avoient beaucoup affaire à la saulver. Et Panurge de rire, dist à quelqu’ung des seigneurs de la ville. Ie croy que ceste dame là est en chaleur, ou bien que quelque levrier l’a couverte fraischement. Et quand il veit que tous les chiens grondoient bien à l’entour d’elle comme ilz font autour d’une chienne chaulde, il s’en partit, & alla querir Pantagruel, et par toutes les rues où il trouvoit des chiens, il leur bailloit ung coup de pied, disant. Et ne yrez vous point à voz compaignons aux nopces, devant devant.

Et arrivé au logis dist à Pantagruel, maistre ie vous pry venez veoir tous les chiens de ceste ville qui sont assemblez à l’entour d’une dame la plus belle de ceste ville & la veullent iocqueter. À quoy voulentiers consentit Pantagruel, & veit le mystere qu’il trouva fort beau & nouveau. Mais le bon fut à la procession : car il se trouva plus de six cens chiens à l’entour d’elle, qui lui faisoient muille hayres : et partout où elle passoit les chiens frays venuz la suyvoient à la trace, pissans par le chemin ou ses robbes avoient touché.

Tout le monde se arrestoit à ce spectacle consyderant les contenances de ces chiens qui luy montoient iusques au col, et luy gasterent tout ses beaulx acoustremens, qu’elle ne sceut y trouver remede, sinon s’en aller à son hostel.

Et chiens d’aller apres, & quand elle fut entrée en sa maison et fermé la porte apres elle, tous les chiens y accouroient de demy lieue, et compisserent si bien la porte de sa maison, qu’ilz y feirent ung ruysseau de leurs urines, ou les cannes eussent bien nagé. Et c’est celluy ruysseau qui de present passe à sainct Victor, auquel Guobelin tainct l’escarlatte, pour la vertu specificque de ces pisse chiens, comme iadis prescha publicquement nostre maistre Doribus. Ainsi vous aist dieu, un moulin y eust peu mouldre. Non tant toutesfoys que ceulx du Bazacle à Thouloufe.