Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Pantagruel/15

Pantagruel
Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 289-294).

Comment Panurge enseigne une maniere bien nouvelle de bastir les murailles de Paris.

Chapitre XV.



Pantagruel quelque iour pour se recreer de son estude se pourmenoit vers les faulxbourgs sainct Marceau voulant veoir la follie Gobelin, et Panurge estoit avecques luy, ayant tousiours le flaccon soubz la robbe, et quelque morceau de iambon : car sans cela iamais ne alloit il, disant que c’estoit son garde corps : & aultre espée ne portoit il. Et quand Pantagruel luy en voulut baillier une, il respondit, qu’elle luy eschaufferoit la ratelle.

Voire mais, dist Epistemon, si l’on se assailloit comment te defendroys tu ? À grands coups de brodequin, respondit il, pourveu que les estocz feussent descenduz.

À leur retour Panurge consideroit les murailles de la ville de Paris, & en irrision dist à Pantagruel. Voyez cy ces belles murailles. Ô que fortes sont & bien en poinct pour garder les oysons en mue ? Par ma barbe, elles sont competentement meschantes pour une telle ville comme est ceste cy, car une vasche avecques ung pet en abattroit plus de six brasses.

Ô mon amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda : Pourquoy la grande cité de Lacedemone n’estoit pas ceincte de murailles ? Car monstrant les habitans et citoyens de la ville tant bien expers en discipline militaire, tant forz & bien armez. Voicy, dist il, les murailles de la cité. Signifiant qu’il n’est murailles que de os, et que les villes ne sçauroient avoir muraille plus seure & plus forte que de la vertuz des habitans. Ainsi ceste ville est si forte par la multitude du peuple bellicqueux qui est dedans, qu’ilz ne se soucient point de faire aultres murailles. Et davantaige, qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg, Orleans, ou Ferrare, il ne seroit possible, tant les frays seroient excessifz. Voire mais, dist Panurge, si faict il bon avoir quelque visaige de pierre quand on est envahy de ses ennemys, et ne feust ce que pour demander, qui est là bas ? Et au regard des frays enormes que dictes estre necessaires si l’on la vouloit murer, si messieurs de la ville me veullent bien donner quelque bon pot de vin, ie leur enseigneray une maniere bien nouvelle, comment ilz pourront bastir à bon marché. Et comment ? dist Pantagruel. Ne le dictes donc pas, respondit Panurge, si ie vous l’enseigne. Ie voy que les callibistrys des femmes de ce pays, sont à meilleur marché que les pierres. D’iceulx fauldroit bastir les murailles en les arrangeant en bonne symmetrie d’architecture, & mettant les plus grans au premiers rancz, et puis en taluant à doz d’asne arrangeant les moyens & finablement les petitz. Et puis faire ung beau petit entrelardement à poinctes de diamens comme la grosse tour de Bourges, de tant de vitz qu’on couppa en ceste ville es pouvres Italiens à l’entrée de la Reyne.

Quel diable desferoit une telle muraille ? Il n’y a metal qui tant resistat aux coups. Et puis que les couillevrines se y vinssent froter. Vous en verriez par dieu incontinent distiller de ce benoist fruict de grosse verolle menu comme pluye. Sec au nom des diables. Davantaige la fouldre ne tomberoit iamais dessus. Car pourquoy ? ilz sont tous benitz ou sacrez. Ie n’y voys qu’ung inconvenient. Ho ho ha ha ha, dist Pantagruel. Et lequel ? C’est que les mousches en sont tant friandes que merveilles, & se y cueilleroient facillement & y feroient leur ordure, & voilà l’ouvrage gasté & diffamé. Mais voicy comme l’on y remedroit. Il fauldroit tresbien les esmoucheter avecques belles quehues de renards, ou bons gros vietz d’azes de Provence. Et à ce propos ie vous veulx dire, nous en allant pour soupper ung bel exemple que met frater Lubinus, libro de compotationibus mendicantium.

Au temps que les bestes parloient (il n’y a pas troys iours) ung pouvre lyon par la forest de Biere se pourmenant & disant ses menus suffrages passa par dessoubz ung arbre auquel estoit monté ung villain charbonnier pour abattre du boys. Lequel voyant le lyon, luy getta la coignée, & le blessa enormement en une cuysse. Dont le lyon cloppant tant courut & tracassa par la forest pour trouver ayde, qu’il rencontra ung charpentier, lequel voulentiers regarda la playe, et la nettoyat le mieulx qu’il peust, & l’emplyt de mousse, luy disant, qu’il esmouchast bien la playe, que les mousches ne y cuyllassent point, attendant qu’il yroit chercher de l’herbe au charpentier. Ainsi le lyon guery, se pourmenoit par la forest, à quelle heure une vieille sempiterneuse ebuschetoit et amassoit du boys par ladicte forest, laquelle voyant le lyon venir, tumbat de peur à la renverse de telle façon, que le vent luy renversa la robbe, cotte, & chemise iusques au dessus des espaules. Ce que voyant le lyon, accourut de pitié, veoir si elle s’estoit point faict mal, & consyderant son comment a nom, dist. Ô pouvre femme, qui t’a ainsi blessée : et ce disant, apperceut ung regnard, lequel il appella, disant. Compere regnard, hau cza cza, & pour cause.

Quand le regnard fut venu, il luy dist. Compere mon amy, l’on a blessé ceste bonne femme icy entre les iambes bien villainement & y a solution de continuité manifeste, regarde que la playe est grande, depuis le cul iusques au nombril mesure quatre, mais bien cinq empans et demy : c’est ung coup de coignée, ie me doubte que la playe soit vieille, pourtant affin que les mousches n’y prennent, esmouche la bien fort, ie t’en pry, & dedans & dehors, tu as bonne quehue & longue, esmouche mon amy, esmouche ie t’en supply, & ce pendant ie voys querir de la mousse, pour y mettre. Car ainsi nous fault il secourir & ayder l’ung l’autre, dieu le commande. Esmouche fort, ainsi mon amy esmouche bien : car ceste playe veult estre esmouchée souvent, autrement la personne ne peult estre à son ayse. Or esmouche bien mon petit compere, esmouche, dieu t’a bien pourveu de quehue, tu l’as grande et grosse à l’advenant, esmouche fort & ne t’ennuye point, ie n’arresteray gueres.

Puis s’en va chercher force mousse, & quand il fut quelque peu loin il s’escrya parlant au regnard. Esmouche bien tousiours compere, esmousche, & ne te fasche iamais de bien esmoucher, par dieu mon petit compere ie te feray estre à gaiges, esmoucheteur de la reyne Marie ou bien de dom Pietro de Castille. Esmouche seulement, esmouche et riens plus.

Le pouvre regnard esmouchoit fort bien & deça & delà & dedans & dehors, mais la saulve vieille vesnoit & vessoit puant comme cent diables, & le pouvre regnard estoit bien mal à son ayse : car il ne sçavoit de quel cousté se virer, pour evader le parfum des vesses de la vieille : & ainsi qu’il se tournoit il veit qu’il y avoit au derriere encores ung aultre pertuys, non pas si grand que celluy qu’il esmouchoit, dont luy venoit ce vent tant puant & infect. Le lyon finablement retourne portant plus de mousse que n’en tiendroyent dix & guyt balles, & commença en mettre dedans la playe, avecques un baston qu’il aporta, et y en avoit ià bien mys seize balles & demye, & s’esbahyssoit que diable ceste playe est parfonde, il y entreroit de mousse plus de deux charretées. Mais le regnard l’advisa. Ô compere lyon mon amy, ie te pry, ne metz pas icy toute la mousse, gardes en quelque peu, car il y a encores icy dessoubz ung aultre petit pertuys, qui put comme cinq cens diables. Ien suis empoisonné de l’odeur tant il est punays.

Ainsi fauldroit il garder ces murailles des mousches, & mettre des esmoucheteurs à gaiges.

Lors dit Pantagruel. Et comment scez tu, que les membres honteux des femmes sont à si bon marché : car en ceste ville il y a force preudes femmes chastes & pucelles.

Et ubi prenus ? dist Panurge. Ie vous en diray non pas mon opinion, mais vraye certitude & asseurance. Ie ne me vante pas d’en avoir embourré quatre cens dix et sept depuys que suis en ceste ville, et s’il n’y a que neuf iours. Mais à ce matin iay trouvé ung bon homme, qui en ung bissac tel comme celluy de Esopet, portoit deux petites fillotes de l’eage de deux ou troys ans au plus, l’une devant, l’aultre derriere. Il me demanda l’aulmosne, mais ie luy feis responce que iavoys beaucoup plus de couillons que de deniers. Et apres luy demande. Bon homme ces deux filles sont elles pucelles ? Frere, dist il, il y a deux ans a que ainsi les porte & au regard de ceste cy devant, laquelle ie voy continuellement en mon advis qu’elle est pucelle, toutesfois ie n’en vouldroys pas metre mon doigt au feu : quant est de celle que ie porte derriere, ie n’en sçays sans faulte riens.

Vrayment dist Pantagruel, tu es gentil compaignon, ie te veulx habiller de ma livrée. Et le feist vestir galantement selon la mode du temps qui couroit : excepté que Panurge voulut que la braguette de ses chausses feust longue de troys pieds, & quarrée non pas ronde, ce que feut faict, & la faisoit bon veoir. Et disoit souvent, que le monde n’avoit point encores congneu l’esmolument et utilité qui est de porter grande braguette, mais le temps leur enseigneroit quelque iour, comme toutes choses ont esté inventées en temps.

Dieu gard de mal, disoit il, le compaignon à qui la longue braguette a saulvé la vie, Dieu gard de mal à qui la longue braguette a valu pour un iour cent escuz, Dieu gard de mal, qui par sa longue braguette a saulvé toute une ville de mourir de faim. Et par dieu ien feray ung livre de la commodité des longues braguettes, quand iauray ung peu plus de loysir. Et de faict en composa ung beau & grand livre avecques les figures, mais il n’est encores imprimé, que ie saiche.