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UNE FARCE


— Ohé ! du canot !… Venez me prendre ici.

Et le grand Planchet, long comme un jour sans pain, se hausse encore parmi les saules de la rive, pour se faire voir de la petite barque qui descend lentement la Seine, et dans laquelle se trouvent cinq jeunes gens et deux femmes. Il y a là des peintres, Charlot et Bernicard ; un sculpteur, Chamborel ; puis, Morand, un rédacteur du Messager des Théâtres, et Laquerrière, un jeune poète qui termine un drame pour l’Odéon. Des deux femmes, Louise, une grosse blonde, est la maîtresse de Morand, et Marguerite, une petite brune, celle de Chamborel.

— Ohé ! répète Planchet, venez donc me prendre ! Je ne veux pas rentrer à pied. Merci ! près de trois kilomètres !… Ohé !

Mais la barque file doucement. Chamborel qui tient la barre, fume sa pipe, sans même tourner la tête, comme s’il n’entendait pas.

— Est-il assommant, ce Planchet ! dit Louise. Qui donc l’a amené chez la mère Gigoux ?

— Personne, répond Bernicard. Il a entendu parler de Gloton à l’atelier, et il est tombé sur notre dos, il y a une quinzaine de jours… Je ne connais pas de garçon plus collant.

— Ah bien ! reprend Louise, je me charge de vous en débarrasser, moi, si vous voulez.

Sur la berge, au milieu des saules, Planchet se fâche peu à peu.

— Voyons, pas de blague ! Abordez ici… Vous pouvez bien aborder.

Alors, Charlot, qui rame, se décide à répondre. Jamais il n’abordera à cet endroit. Il ne veut pas rester dans la vase, bien sûr ! Et, comme Planchet offre d’aller attendre la barque sur un autre point, Morand s’en mêle et lui crie que, lorsqu’un peintre a l’idée bête de venir pêcher à la ligne, il doit s’en retourner tout seul et à pied. Les femmes applaudissent. Laquerrière, debout, commence un discours sur les devoirs du pêcheur à la ligne. Le canot file toujours, Plan-