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LES ROUGON-MACQUART

l’ombre des rideaux. Toutes avaient leurs chapeaux et leurs gants, comme des dames en visite ; et seule, les mains nues, décoiffée, pâlie par la fatigue de trois nuits de veille, elle restait stupide et gonflée de tristesse, en face de cette mort si brusque. Au coin de la commode, une lampe, garnie d’un abat-jour, éclairait Gaga d’un coup de lumière vive.

— Hein ? quel malheur ! murmura Lucy en serrant la main de Rose. Nous voulions lui dire adieu.

Et elle tournait la tête, pour tâcher de la voir ; mais la lampe était trop loin, elle n’osa pas la rapprocher. Sur le lit, une masse grise s’allongeait, on distinguait seulement le chignon rouge, avec une tache blafarde qui devait être la figure. Lucy ajouta :

— Moi, je ne l’avais plus vue depuis la Gaité, au fond de la grotte…

Alors, Rose, sortant de sa stupeur, eut un sourire, en répétant :

— Ah ! elle est changée, elle est changée…

Puis, elle retomba dans sa contemplation, sans un geste, sans une parole. Tout à l’heure on pourrait la regarder peut-être ; et les trois femmes rejoignirent les autres devant la cheminée. Simonne et Clarisse discutaient sur les diamants de la morte, à voix basse. Enfin, existaient-ils, ces diamants ? personne ne les avait vus, ça devait être une blague. Mais Léa de Horn connaissait quelqu’un qui les connaissait ; oh ! des pierres monstrueuses ! D’ailleurs, ce n’était pas tout, elle avait rapporté bien d’autres richesses de Russie, des étoffes brodées, des bibelots précieux, un service de table en or, jusqu’à des meubles ; oui, ma chère, cinquante-deux colis, des caisses énormes, de quoi charger trois wagons. Ça restait en gare. Hein ? pas de chance, mourir sans avoir même le temps de déballer ses affaires ; et ajoutez qu’elle