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NANA

son luxe enrageaient ses appétits, elle nettoyait un homme d’un coup de dent. D’abord, elle eut Foucarmont qui ne dura pas quinze jours. Il rêvait de quitter la marine, il avait amassé en dix années de voyages une trentaine de mille francs qu’il voulait risquer aux États-Unis ; et ses instincts de prudence, d’avarice même, furent emportés, il donna tout, jusqu’à des signatures sur des billets de complaisance, engageant son avenir. Lorsque Nana le poussa dehors, il était nu. D’ailleurs, elle se montra très bonne, elle lui conseilla de retourner sur son bateau. À quoi bon s’entêter ? Puisqu’il n’avait pas d’argent, ce n’était plus possible. Il devait comprendre et se montrer raisonnable. Un homme ruiné tombait de ses mains comme un fruit mûr, pour se pourrir à terre, de lui-même.

Ensuite, Nana se mit sur Steiner, sans dégoût, mais sans tendresse. Elle le traitait de sale juif, elle semblait assouvir une haine ancienne, dont elle ne se rendait pas bien compte. Il était gros, il était bête, et elle le bousculait, avalant les morceaux doubles, voulant en finir plus vite avec ce Prussien. Lui, avait lâché Simonne. Son affaire du Bosphore commençait à péricliter. Nana précipita l’écroulement par des exigences folles. Pendant un mois encore, il se débattit, faisant des miracles ; il emplissait l’Europe d’une publicité colossale, affiches, annonces, prospectus, et tirait de l’argent des pays les plus lointains. Toute cette épargne, les louis des spéculateurs comme les sous des pauvres gens, s’engouffrait avenue de Villiers. D’autre part, il s’était associé avec un maître de forges, en Alsace ; il y avait là-bas, dans un coin de province, des ouvriers noirs de charbon, trempés de sueur, qui, nuit et jour, raidissaient leurs muscles et entendaient craquer leurs