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NANA

francs sur ce cheval. Seulement, Labordette, faute d’instructions exactes et détaillées, était allé justement lui prendre deux cents louis sur Nana, que l’autre continuait à donner à cinquante, dans son ignorance du vrai coup. Nettoyé de cent mille francs sur la pouliche, en perte de quarante mille, Maréchal, qui sentait tout crouler sous ses pieds, avait brusquement compris, en voyant Labordette et le comte causer ensemble, après la course, devant la salle du pesage ; et dans une fureur d’ancien cocher, dans une brutalité d’homme volé, il venait de faire publiquement une scène affreuse, racontant l’histoire avec des mots atroces, ameutant le monde. On ajoutait que le jury des courses allait s’assembler.

Nana, que Philippe et Georges mettaient tout bas au courant, lâchait des réflexions, sans cesser de rire et de boire. C’était possible, après tout ; elle se rappelait des choses ; puis, ce Maréchal avait une sale tête. Pourtant, elle doutait encore, lorsque Labordette parut. Il était très pâle.

— Eh bien ? lui demanda-t-elle à demi-voix.

— Foutu ! répondit-il simplement.

Et il haussait les épaules. Un enfant, ce Vandeuvres ! Elle eut un geste d’ennui.

Le soir, à Mabille, Nana obtint un succès colossal. Lorsqu’elle parut, vers dix heures, le tapage était déjà formidable. Cette classique soirée de folie réunissait toute la jeunesse galante, un beau monde se ruant dans une brutalité et une imbécillité de laquais. On s’écrasait sous les guirlandes de gaz ; des habits noirs, des toilettes excessives, des femmes venues décolletées, avec de vieilles robes bonnes à salir, tournaient, hurlaient, fouettés par une soûlerie énorme. À trente pas, on n’entendait plus les cuivres de l’orchestre. Personne ne dansait. Des mots bêtes, répétés