Page:Zola - Nana.djvu/411

Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
NANA

Non, décidément, Spirit est trop calme… Écoutez, je l’ai vue, Nana, après la grande Poule des Produits, trempée, le poil mort, un battement de flanc à crever. Vingt louis qu’elle n’est pas placée !… Assez donc ! nous embête-t-il, celui-là, avec son Frangipane ! Il n’est plus temps, voilà le départ.

C’était la Faloise, qui, pleurant presque, se débattait pour trouver un bookmaker. On dut le raisonner. Tous les cous se tendaient. Mais le premier départ ne fut pas bon, le starter, qu’on apercevait au loin comme un mince trait noir, n’avait pas abaissé son drapeau rouge. Les chevaux revinrent, après un temps de galop. Il y eut encore deux faux départs. Enfin, le starter, rassemblant les chevaux, les lança avec une adresse qui arracha des cris.

— Superbe !… Non, c’est le hasard !… N’importe, ça y est !

La clameur s’étouffa dans l’anxiété qui serrait les poitrines. Maintenant, les paris s’arrêtaient, le coup se jouait sur l’immense piste. Un silence régna d’abord, comme si les haleines étaient suspendues. Des faces se haussaient, blanches, avec des tressaillements. Au départ, Hasard et Cosinus avaient fait le jeu, prenant la tête ; Valerio II suivait de près, les autres venaient en un peloton confus. Quand ils passèrent devant les tribunes, dans un ébranlement du sol, avec le brusque vent d’orage de leur course, le peloton s’allongeait déjà sur une quarantaine de longueurs. Frangipane était dernier, Nana se trouvait un peu en arrière de Lusignan et de Spirit.

— Fichtre ! murmura Labordette, comme l’Anglais se débarbouille là-dedans !

Tout le landau retrouvait des mots, des exclamations. On se grandissait, on suivait des yeux les taches éclatantes des jockeys qui filaient dans le soleil.