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NANA

Georges qui défendait Vandeuvres contre des rumeurs vagues courant dans les groupes.

— Pourquoi dire qu’il lâche son cheval ? criait le jeune homme. Hier, au salon des courses, il a pris Lusignan pour mille louis.

— Oui, j’étais là, affirma Philippe. Et il n’a pas mis un seul louis sur Nana… Si Nana est à dix, il n’y est pour rien. C’est ridicule de prêter aux gens tant de calculs. Où serait son intérêt ?

Labordette écoutait d’un air tranquille ; et, haussant les épaules :

— Laissez donc, il faut bien qu’on parle… Le comte vient encore de parier cinq cents louis au moins sur Lusignan, et s’il a demandé une centaine de louis de Nana, c’est parce qu’un propriétaire doit toujours avoir l’air de croire à ses chevaux.

— Et zut ! qu’est-ce que ça nous fiche ! clama la Faloise en agitant les bras. C’est Spirit qui va gagner… Enfoncée la France ! bravo l’Angleterre !

Un long frémissement secouait la foule, pendant qu’une nouvelle volée de la cloche annonçait l’arrivée des chevaux dans la piste. Alors, Nana, pour bien voir, monta debout sur une banquette de son landau, foulant aux pieds les bouquets, les myosotis et les roses. D’un regard circulaire, elle embrassait l’horizon immense. À cette heure dernière de fièvre, c’était d’abord la piste vide, fermée de ses barrières grises, où s’alignaient des sergents de ville, de deux en deux poteaux ; et la bande d’herbe, boueuse devant elle, s’en allait reverdie, tournait au loin en un tapis de velours tendre. Puis, au centre, en baissant les yeux, elle voyait la pelouse, toute grouillante d’une foule haussée sur les pieds, accrochée aux voitures, soulevée et heurtée dans un coup de passion, avec les chevaux qui hennissaient, les toiles des