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NANA

épaules, lui disant dans le cou des choses, dont elles riaient très fort ; puis, elle voulut partager son dernier morceau de poire, elle le lui présenta entre les dents ; et toutes deux se mordillaient les lèvres, achevaient le fruit dans un baiser. Alors, ce fut une protestation comique de la part de ces messieurs. Philippe leur cria de ne pas se gêner. Vandeuvres demanda s’il fallait sortir. Georges était venu prendre Satin par la taille et l’avait ramenée à sa place.

— Êtes-vous bêtes ! dit Nana, vous la faites rougir, cette pauvre mignonne… Va, ma fille, laisse-les blaguer. Ce sont nos petites affaires.

Et, tournée vers Muffat, qui regardait ; de son air sérieux :

— N’est-ce pas, mon ami ?

— Oui, certainement, murmura-t-il, en approuvant d’un lent signe de tête.

Il n’avait plus une protestation. Au milieu de ces messieurs, de ces grands noms, de ces vieilles honnêtetés, les deux femmes, face à face, échangeant un regard tendre, s’imposaient et régnaient, avec le tranquille abus de leur sexe et leur mépris avoué de l’homme. Ils applaudirent.

On monta prendre le café dans le petit salon. Deux lampes éclairaient d’une lueur molle les tentures roses, les bibelots aux tons de laque et de vieil or. C’était, à cette heure de nuit, au milieu des coffres, des bronzes, des faïences, un jeu de lumière discret allumant une incrustation d’argent ou d’ivoire, détachant le luisant d’une baguette sculptée, moirant un panneau d’un reflet de soie. Le feu de l’après-midi se mourait en braise, il faisait très chaud, une chaleur alanguie, sous les rideaux et les portières. Et, dans cette pièce toute pleine de la vie intime de Nana, où traînaient ses gants, un mou-