Page:Zola - Nana.djvu/361

Cette page a été validée par deux contributeurs.
361
NANA

à sa table. En le voyant plaisanter, Nana prit son grand air froid, et répondit sèchement :

— Placez-vous où il vous plaira, monsieur. Nous sommes dans un lieu public.

Commencée sur ce ton, la conversation fut drôle. Mais, au dessert, Nana, ennuyée, brûlant de triompher, mit les coudes sur la table ; puis, reprenant le tutoiement :

— Eh bien ! et ton mariage, mon petit, ça marche ?

— Pas fort, avoua Daguenet.

En effet, au moment de risquer sa demande chez les Muffat, il avait senti une telle froideur de la part du comte, qu’il s’était prudemment abstenu. Ça lui semblait une affaire manquée. Nana le regardait fixement de ses yeux clairs, le menton dans la main, un pli ironique aux lèvres.

— Ah ! je suis une coquine, reprit-elle avec lenteur ; ah ! il faudra arracher le futur beau-père de mes griffes… Eh bien ! vrai, pour un garçon intelligent, tu es joliment bête ! Comment ! tu vas faire des cancans à un homme qui m’adore et qui me répète tout !… Écoute, tu te marieras si je veux, mon petit.

Depuis un instant, il le sentait bien ; tout un projet de soumission poussait en lui. Cependant, il plaisantait toujours, ne voulant pas laisser tomber l’affaire dans le sérieux ; et, après avoir mis ses gants, il lui demanda, avec les formes strictes, la main de mademoiselle Estelle de Beuville. Elle finit par rire, comme chatouillée. Oh ! ce Mimi ! il n’y avait pas moyen de lui garder rancune. Les grands succès de Daguenet auprès de ces dames étaient dus à la douceur de sa voix, une voix d’une pureté et d’une souplesse musicales, qui l’avait fait surnommer chez les filles Bouche-de-Velours. Toutes cédaient, dans la caresse sonore dont il les enveloppait. Il connaissait