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LES ROUGON-MACQUART

mué des phrases d’amour, ils restèrent froids aux deux côtés de la table. Pourtant, elle lui avait versé une tasse de thé.

— En voilà une cochonnerie ! cria-t-il en y trempant les lèvres. Tu as donc mis du sel !

Nana eut le malheur de hausser les épaules. Il devint furieux.

— Ah ! ça tourne mal, ce soir !

Et la querelle partit de là. La pendule ne marquait que dix heures, c’était une façon de tuer le temps. Il se fouettait, il lançait au visage de Nana, dans un flot d’injures, toutes sortes d’accusations, l’une sur l’autre, sans lui permettre de se défendre. Elle était sale, elle était bête, elle avait roulé partout. Puis, il s’acharna sur la question d’argent. Est-ce qu’il dépensait six francs, lui, quand il dînait en ville ? on lui payait à dîner, sans quoi il aurait mangé son pot-au-feu. Et pour cette vieille procureuse de Maloir encore, un carcan qu’il flanquerait à la porte le lendemain ! Ah bien ! ils iraient loin, si chaque jour, lui et elle, jetaient comme ça des six francs à la rue !

— D’abord, je veux des comptes ! cria-t-il. Voyons, donne l’argent ; où en sommes-nous ?

Tous ses instincts d’avarice sordide éclataient. Nana, dominée, effarée, se hâta de prendre dans le secrétaire l’argent qui leur restait, et de l’apporter devant lui. Jusque-là, la clef demeurait sur la caisse commune, ils y puisaient librement.

— Comment ! dit-il après avoir compté, il reste à peine sept mille francs sur dix-sept mille, et nous ne sommes ensemble que depuis trois mois… Ce n’est pas possible.

Lui-même s’élança, bouscula le secrétaire, apporta le tiroir pour le fouiller sous la lampe. Mais il