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LES ROUGON-MACQUART

prince avait bu le champagne de Fontan, elles s’étaient perdues de vue toutes deux.

— Comment ! c’est toi, tu es du quartier ? dit Satin, stupéfaite de la voir en pantoufles dans la rue, à cette heure. Ah ! ma pauvre fille, il y a donc de la panne !

Nana la fit taire d’un froncement de sourcil, parce que d’autres femmes étaient là, en robe de chambre, sans linge, les cheveux tombés et blancs de peluches. Le matin, toutes les filles du quartier, à peine l’homme de la veille mis à la porte, venaient faire leurs provisions, les yeux gros de sommeil, traînant des savates dans la mauvaise humeur et la fatigue d’une nuit d’embêtements. De chaque rue du carrefour, il en descendait vers le marché, de très pâles, jeunes encore, charmantes d’abandon, d’affreuses, vieilles et ballonnées, lâchant leur peau, se fichant d’être vues ainsi, en dehors des heures de travail ; pendant que, sur les trottoirs, les passants se retournaient, sans qu’une seule daignât sourire, toutes affairées, avec des airs dédaigneux de ménagères pour qui les hommes n’existaient plus. Justement, comme Satin payait sa botte de radis, un jeune homme, quelque employé attardé, lui jeta un : « Bonjour, chérie », au passage. Du coup, elle se redressa, elle eut une dignité de reine offensée, en disant :

— Qu’est-ce qui lui prend, à ce cochon-là ?

Puis, elle crut le reconnaître. Trois jours auparavant, vers minuit, remontant seule du boulevard, elle lui avait parlé près d’une demi-heure, au coin de la rue Labruyère, pour le décider. Mais cela ne fit que la révolter davantage.

— Sont-ils assez mufes de vous crier des choses en plein jour, reprit-elle. Quand on va à ses affaires, n’est-ce pas ? c’est pour qu’on vous respecte.