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LES ROUGON-MACQUART


— C’est fini, disait-il d’une voix sourde. Il n’y a plus rien, il n’y a plus rien.

Il pleurait si violemment, qu’il s’adossa contre une porte, le visage dans ses mains mouillées. Un bruit de pas le chassa. Il éprouvait une honte, une peur, qui le faisait fuir devant le monde, avec la marche inquiète d’un rôdeur de nuit. Quand des passants le croisaient sur le trottoir, il tâchait de prendre une allure dégagée, en s’imaginant qu’on lisait son histoire dans le balancement de ses épaules. Il avait suivi la rue de la Grange-Batelière jusqu’à la rue du Faubourg-Montmartre. L’éclat des lumières le surprit, il revint sur ses pas. Pendant près d’une heure, il courut ainsi le quartier, choisissant les trous les plus sombres. Il avait sans doute un but où ses pieds allaient d’eux-mêmes, patiemment, par un chemin sans cesse compliqué de détours. Enfin, au coude d’une rue, il leva les yeux. Il était arrivé. C’était le coin de la rue Taitbout et de la rue de Provence. Il avait mis une heure pour venir là, dans le grondement douloureux de son cerveau, lorsqu’en cinq minutes il aurait pu s’y rendre. Un matin, le mois dernier, il se souvenait d’être monté chez Fauchery le remercier d’une chronique sur un bal des Tuileries, où le journaliste l’avait nommé. L’appartement se trouvait à l’entre-sol, de petites fenêtres carrées, à demi cachées derrière l’enseigne colossale d’une boutique. Vers la gauche, la dernière fenêtre était coupée par une bande de vive clarté, un rayon de lampe qui passait entre les rideaux entr’ouverts. Et il resta les yeux fixés sur cette raie lumineuse, absorbé, attendant quelque chose.

La lune avait disparu, dans un ciel d’encre, d’où tombait une bruine glacée. Deux heures sonnèrent à la Trinité. La rue de Provence et la rue Taitbout