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NANA

nappes d’ombre ; et, trois minutes plus loin, une autre grille encore déroula devant eux une avenue immense, un couloir de ténèbres, au fond duquel le soleil mettait la tache vive d’une étoile. Un étonnement, d’abord silencieux, leur tirait peu à peu des exclamations. Ils avaient bien essayé de blaguer, avec une pointe d’envie ; mais, décidément, ça les empoignait. Quelle force, cette Irma ! C’est ça qui donnait une crâne idée de la femme ! Les arbres continuaient, et sans cesse revenaient des manteaux de lierre coulant sur le mur, des toits de pavillon qui dépassaient, des rideaux de peupliers qui succédaient à des masses profondes d’ormes et de trembles. Ça ne finirait donc pas ? Ces dames auraient voulu voir l’habitation, lasses de toujours tourner, sans apercevoir autre chose, à chaque échappée, que des enfoncements de feuillage. Elles prenaient les barreaux des deux mains, appuyant le visage contre le fer. Une sensation de respect les envahissait, tenues de la sorte à distance, rêvant du château invisible dans cette immensité. Bientôt, ne marchant jamais, elles éprouvèrent une fatigue. Et la muraille ne cessait point ; à tous les coudes du petit chemin désert, la même ligne de pierres grises s’allongeait. Quelques-unes, désespérant d’arriver au bout, parlaient de revenir en arrière. Mais, plus la course les brisait, et plus elles devenaient respectueuses, emplies davantage à chaque pas de la tranquille et royale majesté de ce domaine.

— C’est bête, à la fin ! dit Caroline Héquet, les dents serrées.

Nana la fit taire d’un haussement d’épaules. Elle, depuis un moment, ne parlait plus, un peu pâle, très sérieuse. Brusquement, au dernier détour, comme on débouchait sur la place du village, la muraille cessa, le château parut, au fond d’une cour