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LES ROUGON-MACQUART

tinctement qu’un chat, le gros chat rouge, qui, dans cette fournaise empoisonnée de musc, filait le long des marches en se frottant le dos contre les barreaux de la rampe, la queue en l’air.

— Ah bien ! dit une voix enrouée de femme, j’ai cru qu’ils nous garderaient, ce soir !… En voilà des raseurs, avec leurs rappels !

C’était la fin, le rideau venait de tomber. Il y avait un véritable galop dans l’escalier, dont la cage s’emplissait d’exclamations, d’une hâte brutale à se rhabiller et à partir. Comme le comte Muffat descendait la dernière marche, il aperçut Nana et le prince qui suivaient lentement le couloir. La jeune femme s’arrêta ; puis souriante, baissant la voix :

— C’est cela, à tout à l’heure.

Le prince retourna sur la scène, où Bordenave l’attendait. Alors, seul avec Nana, cédant à une poussée de colère et de désir, Muffat courut derrière elle ; et, au moment où elle rentrait dans sa loge, il lui planta un rude baiser sur la nuque, sur les petits poils blonds qui frisaient très bas entre ses épaules. C’était comme le baiser reçu en haut, qu’il rendait là. Nana, furieuse, levait déjà la main. Quand elle reconnut le comte, elle eut un sourire.

— Oh ! vous m’avez fait peur, dit-elle simplement.

Et son sourire était adorable, confus et soumis, comme si elle eût désespéré de ce baiser et qu’elle fût heureuse de l’avoir reçu. Mais elle ne pouvait pas, ni le soir, ni le lendemain. Il fallait attendre. Si même elle avait pu, elle se serait fait désirer. Son regard disait ces choses. Enfin, elle reprit :

— Vous savez, je suis propriétaire… Oui, j’achète une maison de campagne, près d’Orléans, dans un pays où vous allez quelquefois. Bébé m’a dit ça, le