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LES ROUGON-MACQUART

derrière le rideau, attendant sur la malle, Satin lui répondit tranquillement :

— Bien sûr que je ne voulais pas te gêner, avec tous ces hommes !

Et elle ajouta que, maintenant, elle s’en allait. Mais Nana la retint. Était-elle bête ! Puisque Bordenave consentait à la prendre ! On terminerait l’affaire après le spectacle. Satin hésitait. Il y avait trop de machines, ce n’était plus son monde. Pourtant, elle resta.

Comme le prince descendait le petit escalier de bois, un bruit étrange, des jurons étouffés, des piétinements de lutte, éclataient de l’autre côté du théâtre. C’était toute une histoire qui effarait les artistes attendant leur réplique. Depuis un instant, Mignon plaisantait de nouveau, en bourrant Fauchery de caresses. Il venait d’inventer un petit jeu, il lui appliquait des pichenettes sur le nez, pour le garantir des mouches, disait-il. Naturellement, ce jeu divertissait fort les artistes. Mais, tout à coup, Mignon, emporté par son succès, se lançant dans la fantaisie, avait allongé au journaliste un soufflet, un véritable et vigoureux soufflet. Cette fois, il allait trop loin, Fauchery ne pouvait, devant le monde, accepter en riant une pareille gifle. Et les deux hommes, cessant la comédie, livides et le visage crevant de haine, s’étaient sauté à la gorge. Ils se roulaient par terre, derrière un portant, en se traitant de maquereaux.

— Monsieur Bordenave ! monsieur Bordenave ! vint dire le régisseur effaré.

Bordenave le suivit, après avoir demandé pardon au prince. Quand il eut reconnu par terre Fauchery et Mignon, il laissa échapper un geste d’homme contrarié. Vraiment, ils prenaient bien leur temps, avec