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NANA

gne avait brusquement reparu, avec sa face ravagée et bleuie de vieil acteur tombé dans le vin. On l’entendit, au pied de l’escalier, qui disait à Fontan, de sa voix de rogomme, en parlant du prince :

— Hein ? je l’ai épaté !

Il ne restait dans la loge de Nana que Son Altesse, le comte et le marquis. Bordenave s’était éloigné avec Barillot, auquel il recommandait de ne pas frapper sans avertir madame.

— Messieurs, vous permettez, demanda Nana, qui se mit à refaire ses bras et sa figure, qu’elle soignait surtout pour le nu du troisième acte.

Le prince prit place sur le divan, avec le marquis de Chouard. Seul le comte Muffat demeurait debout. Les deux verres de champagne, dans cette chaleur suffocante, avaient augmenté leur ivresse. Satin, en voyant les messieurs s’enfermer avec son amie, avait cru discret de disparaître derrière le rideau ; et elle attendait là, sur une malle, embêtée de poser, pendant que madame Jules allait et venait tranquillement, sans un mot, sans un regard.

— Vous avez merveilleusement chanté votre ronde, dit le prince.

Alors, la conversation s’établit, mais par courtes phrases, coupées de silences. Nana ne pouvait toujours répondre. Après s’être passé du cold-cream avec la main sur les bras et sur la figure, elle étalait le blanc gras, à l’aide d’un coin de serviette. Un instant, elle cessa de se regarder dans la glace, elle sourit en glissant un regard vers le prince, sans lâcher le blanc gras.

— Son Altesse me gâte, murmura-t-elle.

C’était toute une besogne compliquée, que le marquis de Chouard suivait d’un air de jouissance béate. Il parla à son tour.