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NANA

des jeunes gens ; mais, ayant égoutté dans le piano jusqu’au fond des verres, ils parlaient de s’en aller, lorsqu’un d’eux accourut triomphalement, tenant à la main une dernière bouteille, qu’il rapportait de l’office.

— Attendez ! attendez ! cria-t-il, une bouteille de chartreuse !… Là, il avait besoin de chartreuse ; ça va le remettre… Et maintenant, mes enfants, filons. Nous sommes idiots.

Dans le cabinet de toilette, Nana dut réveiller Zoé, qui s’était assoupie sur une chaise. Le gaz brûlait. Zoé frissonna, aida madame à mettre son chapeau et sa pelisse.

— Enfin, ça y est, j’ai fait ce que tu voulais, dit Nana qui la tutoya, dans un élan d’expansion, soulagée d’avoir pris un parti. Tu avais raison, autant le banquier qu’un autre.

La bonne était maussade, engourdie encore. Elle grogna que madame aurait dû se décider le premier soir. Puis, comme elle la suivait dans la chambre, elle lui demanda ce qu’elle devait faire de ces deux-là. Bordenave ronflait toujours. Georges, qui était venu sournoisement enfoncer la tête dans un oreiller, avait fini par s’y endormir, avec son léger souffle de chérubin. Nana répondit qu’on les laissât dormir. Mais elle s’attendrit de nouveau, en voyant entrer Daguenet ; il la guettait de la cuisine, il avait l’air bien triste.

— Voyons, mon Mimi, sois raisonnable, dit-elle en le prenant dans ses bras, en le baisant avec toutes sortes de câlineries. Il n’y a rien de changé, tu sais que c’est toujours mon Mimi que j’adore… N’est-ce pas ? il le fallait… Je te jure, ce sera encore plus gentil. Viens demain, nous conviendrons des heures… Vite, embrasse-moi comme tu m’aimes… Oh ! plus fort, plus fort que ça !