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— Alors, demain, à la Madeleine, dit Massot ragaillardi, en secouant la main de la princesse.

— Oui, demain, à la Madeleine et à la Comédie.

— Tiens, c’est vrai ! s’écria-t-il, en prenant la main de Silviane, qu’il baisa. Le matin à la Madeleine, le soir à la Comédie… Nous serons tous là pour vous faire un gros succès.

— J’y compte bien… À demain.

— À demain.

La foule s’écoulait, bourdonnante, lasse, dans une sorte de déception et de malaise. Quelques passionnés s’attardaient seuls, afin de voir partir le fourgon qui allait emporter le corps du supplicié ; tandis que les bandes de rôdeurs et de filles, hâves au grand jour, sifflaient, s’appelaient d’une dernière ordure, pour retourner à leurs ténèbres. Vivement, les aides du bourreau démontaient la guillotine. Bientôt, la place serait nette.

Pierre, alors, voulut emmener Guillaume, qui n’avait pas desserré les lèvres, comme étourdi encore par le choc sourd du couteau. Et vainement, du geste, il lui avait montré les persiennes du logement de Mège, restées obstinément closes, dans la façade de la haute maison, au milieu de toutes les autres fenêtres grandes ouvertes. C’était sans doute une protestation du député socialiste contre la peine de mort, bien qu’il exécrât les anarchistes. Pendant que la foule se ruait à l’affreux spectacle, lui, couché, la face vers le mur, rêvait de quelle façon il finirait bien par forcer l’humanité à être heureuse, sous la loi autoritaire du collectivisme. La perte d’un enfant venait de bouleverser sa vie intime de père tendre et pauvre. Il toussait beaucoup, mais il voulait vivre. Et, maintenant, c’était lorsque le ministère Monferrand aurait succombé sous sa prochaine interpellation, qu’il devait prendre le pouvoir, abolir la guillotine, décréter la justice et la félicité parfaite.