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lorsqu’il vit arriver, par cette route de Monthois, la division Margueritte, toute cette cavalerie de réserve, chargée de soutenir le 7e corps et d’éclairer le flanc gauche de l’armée. Le bruit courut qu’elle remontait vers le Chêne-Populeux. Pourquoi dégarnissait-on ainsi l’aile qui seule était menacée ? Pourquoi faisait-on passer au centre, où ils devaient être d’une inutilité absolue, ces deux mille cavaliers, qu’on aurait dû lancer en éclaireurs, à des lieues de distance ? Le pis était que, tombant au milieu des mouvements du 7e corps, ils avaient failli en couper les colonnes, dans un inextricable embarras d’hommes, de canons et de chevaux. Des chasseurs d’Afrique durent attendre pendant près de deux heures, à la porte de Vouziers.

Un hasard fit alors que Maurice reconnut Prosper, qui avait poussé son cheval au bord d’une mare ; et ils purent causer un instant. Le chasseur paraissait étourdi, hébété, ne sachant rien, n’ayant rien vu depuis Reims : si pourtant, il avait vu deux uhlans encore, des bougres qui apparaissaient, qui disparaissaient, sans qu’on sût d’où ils sortaient ni où ils rentraient. Déjà, on contait des histoires, quatre uhlans entrant au galop dans une ville, le revolver au poing, la traversant, la conquérant, à vingt kilomètres de leur corps d’armée. Ils étaient partout, ils précédaient les colonnes d’un bourdonnement d’abeilles, mouvant rideau derrière lequel l’infanterie dissimulait ses mouvements, marchait en toute sécurité, comme en temps de paix. Et Maurice eut un grand serrement au cœur, en regardant la route encombrée de chasseurs et de hussards, qu’on utilisait si mal.

— Allons, au revoir, dit-il en serrant la main de Prosper. Peut-être tout de même qu’on a besoin de vous, là-haut.

Mais le chasseur paraissait exaspéré du métier qu’on lui faisait faire. Il caressait Zéphir d’une main désolée, et il répondit :