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— Dites donc, vous avez refermé la porte de la rue ?

Bouleversée, elle répondit affirmativement, d’un signe de tête ; et, comme elle venait enfin lui donner ses deux mains, dans un besoin d’affection et de secours, il reprit :

— Vous savez, c’est moi qui l’ai tué…

Elle ne comprenait pas, elle ne le croyait pas. Il sentait les deux petites mains rester calmes dans les siennes.

— C’est moi qui l’ai tué… Oui, là-bas, sur une barricade… Il se battait d’un côté, moi de l’autre…

Les petites mains se mirent à trembler.

— On était comme des hommes soûls, on ne savait plus ce qu’on faisait… C’est moi qui l’ai tué…

Alors, Henriette retira ses mains, frissonnante, toute blanche, avec des yeux de terreur qui le regardaient fixement. C’était donc la fin de tout, et rien n’allait donc survivre, dans son cœur broyé ? Ah ! ce Jean, à qui elle pensait le soir même, heureuse du vague espoir de le revoir peut-être ! Et il avait fait cette chose abominable, et il venait pourtant de sauver encore Maurice, puisque c’était lui qui l’avait rapporté là, au travers de tant de dangers ! Elle ne pouvait plus lui abandonner ses mains, sans un recul de tout son être. Mais elle eut un cri, où elle mit la dernière espérance de son cœur combattu.

— Oh ! je le guérirai, il faut que je le guérisse maintenant !

Pendant ses longues veillées à l’ambulance de Remilly, elle était devenue très experte à soigner, à panser les blessures. Et elle voulut tout de suite examiner celles de son frère, qu’elle déshabilla, sans le tirer de son évanouissement. Mais, quand elle défit le pansement sommaire imaginé par Jean, il s’agita, il eut un faible cri, en ouvrant de grands yeux de fièvre. Tout de suite, d’ailleurs, il la reconnut, il sourit.

— Tu es donc là ? Ah ! que je suis content de te voir avant de mourir !