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— Ah ! c’était certain, ajouta-t-il à voix plus basse. De la grande besogne !

Une douleur croissante serrait le cœur d’Henriette, à l’étouffer, devant l’immensité de la catastrophe. Pendant quelques minutes, son malheur personnel disparut, emporté dans cette expiation de tout un peuple. La pensée du feu dévorant des vies humaines, la vue de la ville embrasée à l’horizon, jetant la lueur d’enfer des capitales maudites et foudroyées, lui arrachaient des cris involontaires. Elle joignit les mains, elle demanda :

— Qu’avons-nous donc fait, mon Dieu ! pour être punis de la sorte ?

Déjà, Otto levait le bras, dans un geste d’apostrophe. Il allait parler, avec la véhémence de ce froid et dur protestantisme militaire qui citait des versets de la Bible. Mais un regard sur la jeune femme, dont il venait de rencontrer les beaux yeux de clarté et de raison, l’arrêta. Et, d’ailleurs, son geste avait suffi, il avait dit sa haine de race, sa conviction d’être en France le justicier, envoyé par le Dieu des armées pour châtier un peuple pervers. Paris brûlait en punition de ses siècles de vie mauvaise, du long amas de ses crimes et de ses débauches. De nouveau, les Germains sauveraient le monde, balayeraient les dernières poussières de la corruption latine.

Il laissa retomber son bras, il dit simplement :

— C’est la fin de tout… Un autre quartier s’allume, cet autre foyer, là-bas, plus à gauche… Vous voyez bien cette grande raie qui s’étale, ainsi qu’un fleuve de braise.

Tous deux se turent, un silence épouvanté régna. En effet, des crues subites de flammes montaient sans cesse, débordaient dans le ciel, en ruissellements de fournaise. À chaque minute, la mer de feu élargissait sa ligne d’infini, une houle incandescente d’où s’exhalaient maintenant des fumées qui amassaient, au-dessus de la ville, une immense nuée de cuivre sombre ; et un léger vent