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voyer, devant la Sous-Préfecture, sa calèche attelée de deux chevaux : le maire fut un moment arrêté, lui-même serait allé le rejoindre à la citadelle, sans M. de Gartlauben, qui apaisa, d’une simple démarche, cette grande colère. Un autre jour, son intervention fit accorder un sursis à la ville, condamnée à payer trente mille francs d’amende, pour la punir des prétendus retards apportés à la reconstruction du pont de Villette, un pont détruit par les Prussiens, toute une déplorable histoire qui ruina et bouleversa Sedan. Mais ce fut surtout après la reddition de Metz que Delaherche dut une véritable reconnaissance à son hôte. L’affreuse nouvelle avait été pour les habitants comme un coup de foudre, l’anéantissement de leurs derniers espoirs ; et, dès la semaine suivante, des passages écrasants de troupes s’étaient de nouveau produits, le torrent d’hommes descendu de Metz, l’armée du prince Frédéric-Charles se dirigeant sur la Loire, celle du général Manteuffel marchant sur Amiens et sur Rouen, d’autres corps allant renforcer les assiégeants, autour de Paris. Pendant plusieurs jours, les maisons regorgèrent de soldats, les boulangeries et les boucheries furent balayées jusqu’à la dernière miette, jusqu’au dernier os, le pavé des rues garda une odeur de suint, comme après le passage des grands troupeaux migrateurs. Seule, la fabrique de la rue Maqua n’eut pas à souffrir de ce débordement de bétail humain, préservée par une main amie, désignée simplement pour héberger quelques chefs de bonne éducation.

Aussi Delaherche finit-il par se départir de son attitude froide. Les familles bourgeoises s’étaient enfermées au fond de leurs appartements, évitant tout rapport avec les officiers qu’elles logeaient. Mais lui, agité de son continuel besoin de parler, de plaire, de jouir de la vie, souffrait beaucoup de ce rôle de vaincu boudeur. Sa grande maison silencieuse et glacée, où chacun vivait à part, dans une