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VI


À Sedan, rue Maqua, chez les Delaherche, la vie avait repris, après les terribles secousses de la bataille et de la capitulation ; et, depuis bientôt quatre mois, les jours suivaient les jours, sous le morne écrasement de l’occupation prussienne.

Mais un coin des vastes bâtiments de la fabrique, surtout, restait clos, comme inhabité : c’était sur la rue, à l’extrémité des appartements de maître, la chambre que le colonel de Vineuil habitait toujours. Tandis que les autres fenêtres s’ouvraient, laissaient passer tout un va-et-vient, tout un bruit de vie, celles de cette pièce semblaient mortes, avec leurs persiennes obstinément fermées. Le colonel s’était plaint de ses yeux, dont la grande lumière avivait les souffrances, disait-il ; et l’on ne savait s’il mentait, on entretenait près de lui une lampe, nuit et jour, pour le contenter. Pendant deux longs mois, il avait dû garder le lit, bien que le major Bouroche n’eût diagnostiqué qu’une fêlure de la cheville : la plaie ne se fermait pas, toutes sortes de complications étaient survenues. Maintenant, il se levait, mais dans un tel accablement moral, en proie à un mal indéfini, si têtu, si envahissant, qu’il vivait ses journées étendu sur une chaise longue, devant un grand feu de bois. Il maigrissait, devenait une ombre, sans que le médecin qui le soignait, très surpris, pût trouver une lésion, la cause de cette mort lente. Ainsi qu’une flamme, il s’éteignait.

Et madame Delaherche, la mère, s’était enfermée avec