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vois que je ne te refuse rien et que nous sommes gentils.

Goliath, qui ne pouvait remuer un doigt, tourna les yeux vers son défenseur improvisé. Il n’avait plus que les yeux de vivants, des yeux de supplication ardente, sous le front livide, que trempait une sueur d’angoisse, à grosses gouttes, malgré le froid.

— Messieurs, plaida Ducat en se levant, mon client est en effet la plus infecte des canailles, et je n’accepterais pas de le défendre, si je n’avais à faire remarquer, pour son excuse, qu’ils sont tous comme ça, dans son pays… Regardez-le, vous voyez bien, à ses yeux, qu’il est très étonné. Il ne comprend pas son crime. En France, nous ne touchons nos espions qu’avec des pincettes ; tandis que, là-bas, l’espionnage est une carrière très honorée, une façon méritoire de servir son pays… Je me permettrai même de dire, messieurs, qu’ils n’ont peut-être pas tort. Nos nobles sentiments nous font honneur, mais le pis est qu’ils nous ont fait battre. Si j’ose m’exprimer ainsi, quos vult perdere Jupiter dementat… Vous apprécierez, messieurs.

Et il se rassit, tandis que Sambuc reprenait :

— Et toi, Cabasse, n’as-tu rien à dire contre ou pour l’accusé ?

— J’ai à dire, cria le Provençal, que c’est bien des histoires pour régler son compte à ce bougre-là… J’ai eu pas mal d’ennuis dans mon existence ; mais je n’aime pas qu’on plaisante avec les choses de la justice, ça porte malheur… À mort ! à mort !

Solennellement, Sambuc se remit debout.

— Ainsi, tel est bien votre arrêt à tous les deux… La mort ?

— Oui, oui ! la mort !

Les chaises furent repoussées, il s’approcha de Goliath, en disant :

— C’est jugé, tu vas mourir.