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cour, par la fenêtre, comme résolue à ne pas entendre. Lui, que ce mépris, ce silence obstiné troublaient, interrompit ses explications, pour dire :

— Sais-tu que tu as encore embelli !

En effet, elle était très belle, dans sa pâleur, avec ses grands yeux superbes qui éclairaient tout son visage. Ses lourds cheveux noirs la coiffaient comme d’un casque de deuil éternel.

— Sois gentille, voyons ! Tu devrais sentir que je ne te veux pas de mal… Si je ne t’aimais plus, je ne serais pas revenu, bien sûr… Puisque me revoilà et que tout s’arrange, nous allons nous revoir, n’est-ce pas ?

D’un mouvement brusque, elle s’était reculée, et le regardant en face :

— Jamais !

— Pourquoi jamais ? est-ce que tu n’es pas ma femme, est-ce que cet enfant n’est pas à nous ?

Elle ne le quittait pas des yeux, elle parla lentement.

— Écoutez, il vaut mieux en finir tout de suite… vous avez connu Honoré, je l’aimais, je n’ai toujours aimé que lui. Et il est mort, vous me l’avez tué, là-bas… Jamais plus je ne serai à vous. Jamais !

Elle avait levé la main, elle en faisait le serment, d’une telle voix de haine, qu’il resta un moment interdit, cessant de la tutoyer, murmurant :

— Oui, je savais, Honoré est mort. C’était un très gentil garçon. Seulement, que voulez-vous ? il y en a d’autres qui sont morts, c’est la guerre… Et puis, il me semblait que, du moment où il était mort, il n’y avait plus d’obstacle ; car, enfin, Silvine, laissez-moi vous le rappeler, je n’ai pas été brutal, vous avez consenti…

Mais il n’acheva pas, tellement il la vit bouleversée, les mains au visage, prête à se déchirer elle-même.

— Oh ! c’est bien ça, oui ! c’est bien ça qui me rend folle. Pourquoi ai-je consenti, puisque je ne vous aimais