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et sa tête ira rejoindre celle des uhlans dans la Meuse, ah ! tonnerre de Dieu, oui, je vous en réponds !

Il y eut un silence. Silvine les regardait, les yeux fixes, très pâle.

— Tout ça, c’est des choses dont on ne doit pas causer, reprit prudemment le père Fouchard. À votre santé, et bonsoir !

Ils achevèrent la seconde bouteille. Prosper, étant revenu de l’écurie, donna un coup de main, pour charger, en travers de la brouette, à la place des deux moutons morts, les pains que Silvine avait mis dans un sac. Mais il ne répondit même pas, il tourna le dos, quand son frère et les deux autres s’en allèrent, disparurent avec la brouette, dans la neige, en répétant :

— Bien le bonsoir, au plaisir !

Le lendemain, après le déjeuner, comme le père Fouchard se trouvait seul, il vit entrer Goliath en personne, grand, gros, le visage rose, avec son tranquille sourire. S’il éprouva un saisissement, à cette brusque apparition, il n’en laissa rien paraître. Il clignait les paupières, tandis que l’autre s’avançait et lui serrait rondement la main.

— Bonjour, père Fouchard.

Alors seulement, il sembla le reconnaître.

— Tiens ! c’est toi, mon garçon… Oh ! tu as encore forci. Comme te voilà gras !

Et il le dévisageait, vêtu d’une sorte de capote en gros drap bleu, coiffé d’une casquette de même étoffe, l’air cossu et content de lui. Du reste, il n’avait aucun accent, parlait avec la lenteur empâtée des paysans du pays.

— Mais oui, c’est moi, père Fouchard… Je n’ai pas voulu revenir par ici, sans vous dire un petit bonjour.

Le vieux restait méfiant. Qu’est-ce qu’il venait faire, celui-là ? Avait-il su la visite des francs-tireurs à la ferme,