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V


Par cette soirée glacée de décembre, Silvine et Prosper se trouvaient seuls, avec Charlot, dans la grande cuisine de la ferme, elle cousant, lui en train de se fabriquer un beau fouet. Il était sept heures, on avait dîné à six, sans attendre le père Fouchard, qui devait s’être attardé à Raucourt, où la viande manquait ; et Henriette, dont c’était, cette nuit-là, le tour de veillée, à l’ambulance, venait de partir, en recommandant bien à Silvine de ne pas se coucher, sans aller garnir de charbon le poêle de Jean.

Dehors, le ciel était très noir, sur la neige blanche. Pas un bruit ne venait du village enseveli, on n’entendait dans la salle que le couteau de Prosper, très appliqué à orner de losanges et de rosaces le manche de cornouiller. Par moments, il s’arrêtait, il regardait Charlot, dont la grosse tête blonde vacillait, prise de sommeil. L’enfant ayant fini par s’endormir, il sembla que le silence augmentait encore. Doucement, la mère avait écarté la chandelle, pour que son petit n’en eût pas la clarté sur les paupières ; puis, cousant toujours, elle était tombée dans une rêverie profonde.

Et ce fut alors, après avoir encore hésité, que Prosper se décida.

— Écoutez donc, Silvine, j’ai quelque chose à vous dire… Oui, j’ai attendu d’être seul avec vous…

Inquiète déjà, elle avait levé les yeux.

— Voici la chose… Pardonnez-moi de vous faire de la