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viande, tout d’un coup anéanti, dans la détente de sa fatigue, lorsque le docteur Dalichamp arriva, comme tous les matins, pour sa visite à l’ambulance ; et le jeune homme trouva encore la force de le suivre, avec sa sœur, au chevet du blessé, anxieux de savoir.

Le docteur était un homme court, à la grosse tête ronde, dont le collier de barbe et les cheveux grisonnaient. Son visage coloré s’était durci, pareil à ceux des paysans, dans sa continuelle vie au grand air, toujours en marche pour le soulagement de quelque souffrance ; tandis que ses yeux vifs, son nez têtu, ses lèvres bonnes disaient son existence entière de brave homme charitable, un peu braque parfois, médecin sans génie, dont une longue pratique avait fait un excellent guérisseur.

Lorsqu’il eut examiné Jean, toujours assoupi, il murmura :

— Je crains bien que l’amputation ne devienne nécessaire.

Ce fut un chagrin pour Maurice et Henriette. Pourtant, il ajouta :

— Peut-être pourra-t-on lui conserver sa jambe, mais il faudra de grands soins, et ce sera très long… En ce moment, il est sous le coup d’une telle dépression physique et morale, que l’unique chose à faire est de le laisser dormir… Nous verrons demain.

Puis, quand il l’eut pansé, il s’intéressa à Maurice, qu’il avait connu enfant, autrefois.

— Et vous, mon brave, vous seriez mieux dans un lit que sur cette chaise.

Comme s’il n’entendait pas, le jeune homme regardait fixement devant lui, les yeux perdus. Dans l’ivresse de sa fatigue, une fièvre remontait, une surexcitation nerveuse extraordinaire, toutes les souffrances, toutes les révoltes amassées depuis le commencement de la campagne. La vue de son ami agonisant, le sentiment de sa propre dé-