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pas entendu, car il multiplia les signes, il en répéta un surtout, là-bas, vers le sud. Déjà, la colonne s’engageait dans la rue du Ménil, la façade de la fabrique disparut, avec les trois têtes qui se penchaient, tandis qu’une main agitait un mouchoir.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Jean.

Maurice, tourmenté, regardait en arrière, vainement.

— Je ne sais pas, je n’ai pas compris… Me voilà dans l’inquiétude, tant que je n’aurai pas de nouvelles.

Et le piétinement continuait, les Prussiens hâtaient encore la marche avec leur brutalité de vainqueurs, le troupeau sortit de Sedan par la porte du Ménil, allongé en une file étroite qui galopait, comme dans la peur des chiens.

Lorsqu’ils traversèrent Bazeilles, Jean et Maurice songèrent à Weiss, cherchèrent les cendres de la petite maison, si vaillamment défendue. On leur avait conté, au Camp de la Misère, la dévastation du village, les incendies, les massacres ; et ce qu’ils voyaient dépassait les abominations rêvées. Après douze jours, les tas de décombres fumaient encore. Des murs croulants s’étaient abattus, il ne restait pas dix maisons intactes. Mais ce qui les consola un peu, ce fut de rencontrer des brouettes, des charrettes pleines de casques et de fusils bavarois, ramassés après la lutte. Cette preuve qu’on en avait tué beaucoup, de ces égorgeurs et de ces incendiaires, les soulageait.

C’était à Douzy que devait avoir lieu la grande halte, pour permettre aux hommes de déjeuner. On n’y arriva point sans souffrance. Très vite, les prisonniers se fatiguaient, épuisés par leur jeûne. Ceux qui, la veille, s’étaient gorgés de nourriture, avaient des vertiges, alourdis, les jambes cassées ; car cette gloutonnerie, loin de réparer leurs forces perdues, n’avait fait que les affaiblir davantage. Aussi, lorsqu’on s’arrêta dans un pré, à gauche