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Mais, dehors, par la belle matinée déjà chaude, lorsque tous deux eurent suivi la berge et se trouvèrent près du village d’Iges, Maurice s’exalta davantage, le poing tendu, là-bas, vers le vaste horizon ensoleillé du champ de bataille, le plateau d’Illy en face, Saint-Menges à gauche, le bois de la Garenne à droite.

— Non, non ! je ne peux plus, je ne peux plus voir ça ! C’est d’avoir ça devant moi qui me troue le cœur et me fend le crâne… Emmène-moi, emmène-moi tout de suite !

Ce jour-là était encore un dimanche, des volées de cloche venaient de Sedan, tandis qu’on entendait déjà au loin une musique allemande. Mais le 106e n’avait toujours pas d’ordre, et Jean, effrayé du délire croissant de Maurice, se décida à tenter un moyen qu’il mûrissait depuis la veille. Devant le poste prussien, sur la route, un départ se préparait, celui d’un autre régiment, le 5e de ligne. Une grande confusion régnait dans la colonne, dont un officier, parlant mal le français, n’arrivait pas à faire le recensement. Et, tous deux alors, ayant arraché de leur uniforme le collet et les boutons, pour n’être pas trahis par le numéro, filèrent au milieu de la cohue, passèrent le pont, se trouvèrent dehors. Sans doute, Chouteau et Loubet avaient eu la même idée, car ils les aperçurent derrière eux, avec leurs regards inquiets d’assassin.

Ah ! quel soulagement, à cette première minute heureuse ! Dehors, il semblait que ce fût une résurrection, la lumière vivante, l’air sans bornes, le réveil fleuri de toutes les espérances. Quel que pût être leur malheur à présent, ils ne le redoutaient plus, ils en riaient, au sortir de cet effrayant cauchemar du Camp de la Misère.