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d’un kilomètre, il approchait du petit bois, au bord de l’eau, lorsqu’il rencontra Jean et Maurice, qui revenaient à leur gîte de la nuit. Au passage, il leur jeta un cri de détresse, tandis que ceux-ci, étonnés de cette chasse à l’homme, dont l’enragé galop passait devant eux, restaient plantés au bord d’un champ. Et ce fut ainsi qu’ils virent tout.

Le malheur voulut que Pache, buttant contre une pierre, s’abattit. Déjà les trois autres arrivaient, jurant, hurlant, fouettés par la course, pareils à des loups lâchés sur une proie.

— Donne ça, nom de Dieu ! cria Lapoulle, ou je te fais ton affaire !

Et il levait de nouveau le poing, lorsque Chouteau lui passa, grand ouvert, le couteau mince, qui lui avait servi à saigner le cheval.

— Tiens ! le couteau !

Mais Jean s’était précipité, pour empêcher un malheur, perdant la tête lui aussi, parlant de les fourrer tous au bloc ; ce qui le fit traiter par Loubet de Prussien, avec un mauvais rire, puisqu’il n’y avait plus de chefs et que les Prussiens seuls commandaient.

— Tonnerre de Dieu ! répétait Lapoulle, veux-tu me donner ça !

Malgré la terreur dont il était blême, Pache serra davantage le pain contre sa poitrine, dans son obstination de paysan affamé qui ne lâche rien de ce qui est à lui.

— Non !

Alors, ce fut fini, la brute lui planta le couteau dans la gorge, si violemment, que le misérable ne cria même pas. Ses bras se détendirent, le morceau de pain roula par terre, dans le sang qui avait jailli.

Devant ce meurtre imbécile et fou, Maurice, immobile jusque-là, parut lui-même être pris brusquement de folie. Il menaçait les trois hommes du geste, il les traitait d’assassins, avec une telle véhémence, que tout son corps