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Il leur demanda s’ils n’avaient pas de commissions à lui donner, il se chargea obligeamment de lettres écrites au crayon, que d’autres soldats lui confièrent, car on avait vu des Bavarois allumer leur pipe, en riant, avec les lettres qu’ils avaient promis de faire parvenir.

Puis, comme Maurice et Jean l’accompagnaient jusqu’au pont, Delaherche s’écria :

— Mais, tenez ! la voici là-bas, Henriette !… Vous la voyez bien qui agite son mouchoir.

Au delà de la ligne des sentinelles, en effet, parmi la foule, on distinguait une petite figure mince, un point blanc qui palpitait dans le soleil. Et tous deux, très émus, les yeux humides, levèrent les bras, répondirent d’un furieux branle de la main.

Ce fut le lendemain, un vendredi, que Maurice passa la plus abominable des journées. Pourtant, après une nouvelle nuit tranquille dans le petit bois, il avait eu la chance de manger encore du pain, Jean ayant découvert, au château de Villette, une femme qui en vendait, à dix francs la livre. Mais, ce jour-là, ils assistèrent à une effrayante scène, dont le cauchemar les hanta longtemps.

La veille, Chouteau avait remarqué que Pache ne se plaignait plus, l’air étourdi et content, comme un homme qui aurait dîné à sa faim. Tout de suite, il eut l’idée que le sournois devait avoir une cachette quelque part, d’autant plus que, ce matin-là, il venait de le voir s’éloigner pendant près d’une heure, puis reparaître, avec un sourire en dessous la bouche pleine. Sûrement, une aubaine lui était tombée, des provisions ramassées dans quelque bagarre. Et Chouteau exaspérait Loubet et Lapoulle, ce dernier surtout. Hein ? quel sale individu, s’il avait à manger, de ne pas partager avec les camarades !

— Vous ne savez pas, ce soir, nous allons le suivre… Nous verrons s’il ose s’emplir tout seul, quand de pauvres bougres crèvent à côté de lui.