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sang jaillissait, se dégorgeait comme du canon d’une fontaine, tandis que les pieds s’agitaient et que de grands frissons convulsifs couraient sur la peau. Il fallut près de cinq minutes au cheval pour mourir. Ses grands yeux élargis, pleins d’une épouvante triste, s’étaient fixés sur les hommes hagards qui attendaient qu’il fût mort. Ils se troublèrent et s’éteignirent.

— Mon Dieu, bégayait Pache toujours à genoux, secourez-le, ayez-le en votre sainte garde…

Ensuite, quand il ne remua plus, ce fut un gros embarras, pour en tirer un bon morceau. Loubet, qui avait fait tous les métiers, indiquait bien comment il fallait s’y prendre, si l’on voulait avoir le filet. Mais, boucher maladroit, n’ayant d’ailleurs que le petit couteau, il se perdit dans cette chair toute chaude, encore palpitante de vie. Et Lapoulle, impatient, s’étant mis à l’aider en ouvrant le ventre, sans nécessité aucune, le carnage devint abominable. Une hâte féroce dans le sang et les entrailles répandues, des loups qui fouillaient à pleins crocs la carcasse d’une proie.

— Je ne sais pas bien quel morceau ça peut être, dit enfin Loubet en se relevant, les bras chargés d’un lambeau énorme de viande. Mais voilà tout de même de quoi nous en mettre par-dessus les yeux.

Jean et Maurice, saisis d’horreur, avaient détourné la tête. Cependant, la faim les pressait, ils suivirent la bande, quand elle galopa, pour ne point se faire surprendre près du cheval entamé. Chouteau venait de faire une trouvaille, trois grosses betteraves, oubliées, qu’il emportait. Loubet, pour se décharger les bras, avait jeté la viande sur les épaules de Lapoulle ; tandis que Pache portait la marmite de l’escouade, qu’ils traînaient avec eux, en cas de chasse heureuse. Et les six galopaient, galopaient, sans reprendre haleine, comme poursuivis.

Tout d’un coup, Loubet arrêta les autres.