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— Ah ! zut ! cria Chouteau, c’est le moment !

La campagne restait claire, d’une clarté louche d’entre chien et loup. Et Lapoulle courut le premier, suivi des cinq autres. Il avait pris dans le fossé une grosse pierre ronde, il se rua sur le cheval, se mit à lui défoncer le crâne, de ses deux bras raidis, comme avec une massue. Mais, dès le second coup, le cheval fit un effort pour se remettre debout. Chouteau et Loubet s’étaient jetés en travers de ses jambes, tâchaient de le maintenir, criaient aux autres de les aider. Il hennissait d’une voix presque humaine, éperdue et douloureuse, se débattait, les aurait cassés comme verre, s’il n’avait pas été déjà à demi mort d’inanition. Cependant, sa tête remuait trop, les coups ne portaient plus, Lapoulle ne pouvait le finir.

— Nom de Dieu ! qu’il a les os durs !… Tenez-le donc, que je le crève !

Jean et Maurice, glacés, n’entendaient pas les appels de Chouteau, restaient les bras ballants, sans se décider à intervenir.

Et Pache, brusquement, dans un élan instinctif de religieuse pitié, tomba sur la terre à deux genoux, joignit les mains, se mit à bégayer des prières, comme on en dit au chevet des agonisants.

— Seigneur, prenez pitié de lui…

Une fois encore, Lapoulle frappa à faux, n’enleva qu’une oreille au misérable cheval, qui se renversa, avec un grand cri.

— Attends, attends ! gronda Chouteau. Il faut en finir, il nous ferait pincer… Ne le lâche pas, Loubet !

Dans sa poche, il venait de prendre son couteau, un petit couteau dont la lame n’était guère plus longue que le doigt. Et, vautré sur le corps de la bête, un bras passé à son cou, il enfonça cette lame, fouilla dans cette chair vivante, tailla des morceaux jusqu’à ce qu’il eût trouvé et tranché l’artère. D’un bond, il s’était jeté de côté, le