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les planches qu’ils rencontraient, et maintenant ils se dévoraient entre eux. On les voyait se jeter les uns sur les autres, pour s’arracher les crins de la queue, qu’ils mâchaient furieusement, au milieu d’un flot d’écume. Mais, la nuit surtout, ils devenaient terribles, comme si l’obscurité les eût hantés de cauchemars. Ils se réunissaient, se ruaient sur les rares tentes debout, attirés par la paille. Vainement, les hommes, pour les écarter, avaient allumé de grands feux, qui semblaient les exciter davantage. Leurs hennissements étaient si lamentables, si effrayants, qu’on aurait dit des rugissements de bêtes fauves. On les chassait, ils revenaient plus nombreux et plus féroces. Et, à chaque instant, dans les ténèbres, on entendait le long cri d’agonie de quelque soldat perdu, que l’enragé galop venait d’écraser.

Le soleil était encore sur l’horizon, lorsque Jean et Maurice, en route pour retourner au campement, eurent la surprise de rencontrer les quatre hommes de l’escouade, terrés dans un fossé, ayant l’air de comploter là quelque mauvais coup. Loubet, tout de suite, les appela, et Chouteau leur dit :

— C’est par rapport au dîner de ce soir… Nous allons crever, voici trente-six heures que nous ne nous sommes rien mis dans le ventre… Alors, comme il y a là des chevaux, et que ce n’est pas mauvais, la viande des chevaux…

— N’est-ce pas ? caporal, vous en êtes, continua Loubet, parce que plus nous serons, mieux ça vaudra, avec une si grosse bête… Tenez ! il y en a un, là-bas, que nous guettons depuis une heure, ce grand rouge qui a l’air malade. Ce sera plus facile de l’achever.

Et il montrait un cheval que la faim venait d’abattre, au bord d’un champ ravagé de betteraves. Tombé sur le flanc, il relevait par moments la tête, promenait ses yeux mornes, avec un grand souffle triste.

— Ah ! comme c’est long ! grogna Lapoulle, que son