Page:Zola - La Débâcle.djvu/414

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chercher le corps d’Honoré, là-bas. Elle s’obstinait, sans cris maintenant, dans un silence désespéré et invincible ; et il ne la reconnaissait plus, elle si docile, faisant toutes les besognes en fille résignée : ses grands yeux de soumission qui suffisaient à la beauté de son visage avaient pris une décision farouche, tandis que son front restait pâle, sous le flot de ses épais cheveux bruns. Elle venait d’arracher un fichu rouge qu’elle avait aux épaules, elle s’était mise toute en noir, comme une veuve. Vainement, il lui représenta la difficulté des recherches, les dangers qu’elle pouvait courir, le peu d’espoir qu’il y avait de retrouver le corps. Elle cessait même de répondre, il voyait bien qu’elle partirait seule, qu’elle ferait quelque folie, s’il ne s’en occupait pas, ce qui l’inquiétait plus encore, à cause des complications où cela pouvait le jeter avec les autorités prussiennes. Aussi finit-il par se décider à se rendre chez le maire de Remilly, qui était un peu son cousin, et à eux deux ils arrangèrent une histoire : Silvine fut donnée pour la veuve véritable d’Honoré, Prosper devint son frère ; de sorte que le colonel bavarois, installé en bas du village, à l’hôtel de la Croix de Malte, voulut bien délivrer un laissez-passer pour le frère et la sœur, les autorisant à ramener le corps du mari, s’ils le découvraient. La nuit était venue, tout ce qu’on put obtenir de la jeune femme, ce fut qu’elle attendrait le jour pour se mettre en marche.

Le lendemain, jamais Fouchard ne voulut laisser atteler un de ses chevaux, dans la crainte de ne pas le revoir. Qui lui disait que les Prussiens ne confisqueraient pas la bête et la voiture ? Enfin, il consentit de mauvaise grâce à prêter l’âne, un petit âne gris, dont l’étroite charrette était encore assez grande pour contenir un mort. Longuement, il donna des instructions à Prosper, qui avait bien dormi, mais que la pensée de l’expédition rendait soucieux, maintenant que, reposé, il tâchait de se souvenir.