Page:Zola - La Débâcle.djvu/398

Cette page a été validée par deux contributeurs.

décidait à couper tout de même la jambe d’un pauvre petit bonhomme de vingt ans. Et ils s’enfuirent, pour ne pas entendre.

À cette minute, Delaherche revenait de la rue. Il les appela du geste, leur cria :

— Montez, montez vite !… Nous allons déjeuner, la cuisinière a réussi à se procurer du lait. Vraiment, ce n’est pas dommage, on a grand besoin de prendre quelque chose de chaud !

Et, malgré son effort, il ne pouvait renfoncer toute la joie dont il exultait. Il baissa la voix, il ajouta, rayonnant :

— Ça y est, cette fois ! Le général de Wimpffen est reparti, pour signer la capitulation.

Ah ! quel soulagement immense, sa fabrique sauvée, l’atroce cauchemar dissipé, la vie qui allait reprendre, douloureuse, mais la vie, la vie enfin ! Neuf heures sonnaient, c’était la petite Rose, accourue dans le quartier, chez une tante boulangère, pour avoir du pain, au travers des rues un peu désencombrées, qui venait de lui conter les événements de la matinée, à la Sous-Préfecture. Dès huit heures, le général de Wimpffen avait réuni un nouveau conseil de guerre, plus de trente généraux, auxquels il avait dit les résultats de sa démarche, ses efforts inutiles, les dures exigences de l’ennemi victorieux. Ses mains tremblaient, une émotion violente lui emplissait les yeux de larmes. Et il parlait encore, lorsqu’un colonel de l’état-major prussien s’était présenté en parlementaire, au nom du général de Moltke, pour rappeler que si, à dix heures, une résolution n’était pas prise, le feu serait rouvert sur la ville de Sedan. Le conseil, alors, devant l’effroyable nécessité, n’avait pu qu’autoriser le général à se rendre de nouveau au château de Bellevue, pour accepter tout. Déjà, le général devait y être, l’armée française entière était prisonnière, avec armes et bagages.