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Bouroche, dont la tournée commençait, après quelques heures de repos, s’arrêta devant le tambour Bastian, puis passa, avec un imperceptible haussement d’épaules. Rien à faire. Pourtant, le tambour avait ouvert les yeux ; et, comme ressuscité, il suivait d’un regard vif un sergent qui avait eu la bonne idée d’entrer, son képi plein d’or à la main, pour voir s’il n’y aurait pas quelques-uns de ses hommes, parmi ces pauvres diables. Justement, il en trouva deux, leur donna à chacun vingt francs. D’autres sergents arrivèrent, l’or se mit à pleuvoir sur la paille. Et Bastian, qui était parvenu à se redresser, tendit ses deux mains que l’agonie secouait.

— À moi ! à moi !

Le sergent voulut passer outre, comme avait passé Bouroche. À quoi bon ? Puis, cédant à une impulsion de brave homme, il jeta des pièces sans compter, dans les deux mains déjà froides.

— À moi ! à moi !

Bastian était retombé en arrière. Il tâcha de rattraper l’or qui s’échappait, tâtonna longuement, les doigts raidis. Et il mourut.

— Bonsoir, monsieur a soufflé sa chandelle ! dit un voisin, un petit zouave sec et noir. C’est vexant, quand on a de quoi se payer du sirop !

Lui, avait le pied gauche serré dans un appareil. Pourtant, il réussit à se soulever, à se traîner sur les coudes et sur les genoux ; et, arrivé près du mort, il ramassa tout, fouilla les mains, fouilla les plis de la capote. Lorsqu’il fut revenu à sa place, remarquant qu’on le regardait, il se contenta de dire :

— Pas besoin, n’est-ce pas ? que ça se perde.

Maurice, le cœur étouffé dans cet air de détresse humaine, s’était hâté d’entraîner Jean. Comme ils retraversaient le hangar aux opérations, ils virent Bouroche, exaspéré de n’avoir pu se procurer du chloroforme, qui se