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D’ailleurs, tous les trois galopaient, galopaient, sans reprendre haleine. Autour d’eux, la queue extrême des fuyards coulait toujours à pleine route, d’un train sans cesse accru de torrent débordé. Quand ils arrivèrent à la porte de Balan, ils durent attendre, au milieu d’une bousculade féroce. Les chaînes du pont-levis s’étaient rompues, il ne restait de praticable que la passerelle pour les piétons ; de sorte que les canons et les chevaux ne pouvaient passer. À la poterne du Château, à la porte de la Cassine, l’encombrement, disait-on, était plus effroyable encore. C’était l’engouffrement fou, tous les débris de l’armée roulant sur les pentes, venant se jeter dans la ville, y tomber avec un bruit d’écluse lâchée, comme au fond d’un égout. L’attrait funeste de ces murs achevait de pervertir les plus braves.

Maurice avait pris Henriette entre ses bras ; et, frémissant d’impatience :

— Ils ne vont pas fermer la porte au moins, avant que tout le monde soit rentré.

Telle était la crainte de la foule. À droite, à gauche, cependant, des soldats campaient déjà sur les talus ; tandis que, dans les fossés, des batteries, un pêle-mêle de pièces, de caissons et de chevaux était venu s’échouer.

Mais des appels répétés de clairons retentirent, suivis bientôt de la sonnerie claire de la retraite. On appelait les soldats attardés. Plusieurs arrivaient encore au pas de course, des coups de feu éclataient, isolés, de plus en plus rares, dans le faubourg. Sur la banquette intérieure du parapet, on laissa des détachements, pour défendre les approches ; et la porte fut enfin fermée. Les Prussiens n’étaient pas à plus de cent mètres. On les voyait aller et venir sur la route de Balan, en train d’occuper tranquillement les maisons et les jardins.

Maurice et Jean, qui poussaient devant eux Henriette, pour la protéger des bourrades, étaient rentrés parmi les